Interview

Des formations et des recherches pour soutenir l’accompagnement des situations complexes


Publié le

Dans les domaines du social et de la santé, les professionnel·le·s peuvent être confronté·e·s à des situations dites « complexes ». Dans ces secteurs déjà sous pression, ces situations représentent un risque pour la santé des professionnel·le·s autant que pour celles des personnes accompagnées. Mais comment comprendre ces réalités ? Et qu’est-ce qu’une haute école spécialisée comme la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL) peut apporter aux professionnel·le·s pour les soutenir ? Basile Perret et Aline Veyre expliquent les expertises et projets développés.

Aline Veyre et Basile Perret

Aline Veyre et Basile Perret

Quelles réalités se cachent derrière le terme de « situations complexes » ?  

A.Veyre : Il n’y a pas vraiment de définition qui fasse consensus. La complexité se joue à plusieurs niveaux : pour la personne elle-même et son entourage, pour les équipes professionnelles et pour les structures d’accueil. Ces situations ont pour caractéristiques le fait de mettre en tension le réseau entourant la personne. Elles imposent un travail interdisciplinaire permettant de croiser les regards sur les différents facteurs d’influence entrant en jeu. Souvent, on illustre les situations complexes par des personnes avec une déficience intellectuelle, présentant des problèmes de santé mentale et manifestant des comportements-défis.

B. Perret : Il peut aussi s’agir de situations dans lesquelles les interventions peuvent péjorer la suite des événements. Dans ce sens, il importe de dépasser les bonnes intentions, avec lesquelles on risque de faire plus de mal, et de réfléchir en amont comment mieux évaluer les problématiques afin d’intervenir de la manière la plus adéquate en fonction des caractéristiques spécifiques des situations. Étant donné qu’il y a différents types de situations complexes, il est important de développer des outils adaptés au contexte d’intervention. 

« La complexité se joue à plusieurs niveaux : pour la personne elle-même et son entourage, pour les équipes professionnelles et pour les structures d’accueil. »

Dans vos activités de recherche et de formation, quels projets développez-vous pour outiller les professionnel·le·s confronté·e·s à des situations complexes ?  

B. Perret : Depuis plusieurs années, nous avions un Certificate of Advanced Studies (CAS) en accompagnement des situations complexes, qui a été renommé « CAS en accompagnement de comportements-défis dans le domaine de la déficience intellectuelle », avec l’idée d’avoir des outils spécifiques par rapport à ces situations précises. L’objectif est de réussir à décrypter pourquoi les bénéficiaires ont ces types de comportement et pouvoir outiller les professionnel·le·s pour intervenir de manière appropriée. Il s’agit ainsi de les aider à réfléchir, avant qu’une situation complexe se présente, comment on peut penser une intervention coordonnée et adéquate, notamment pour éviter qu’elle se retourne contre la personne concernée. 

Pour mettre en place des formations, il est important d’avoir une bonne cartographie des acteurs impliqués, dans le cadre des politiques publiques en place. Les offres de formation continue doivent ainsi être pensées avec le réseau de soutien existant. C’est un des points fort qui ressort dans les évaluations qui sont faites de nos formations. 

Par exemple, dans le cadre de la formation sur les comportements-défis, nous travaillons avec l’équipe de la Section de psychiatrie du développement (SPDM), du CHUV, qui assure des interventions auprès d’adultes et mineurs présentent des comportements-défis, avec également la mission d’accompagner les équipes en place dans les institutions.  

L’objectif est ainsi de pouvoir renforcer, dans les différentes institutions de Suisse romande dont sont issu·e·s les professionnel·le·s qui viennent se former, ces réflexes d’évaluation et d’intervention, et d’étayer les pratiques avec des outils concrets. 

Autre exemple, dans le cadre du « CAS en prévention des phénomènes de harcèlement-intimidation entre pairs », en collaboration avec la HEP Vaud, il est essentiel de pouvoir travailler avec l’Unité de promotion de la santé et prévention en milieu scolaire (PSPS), qui a pour but d’améliorer la cohérence et la pertinence des activités de santé scolaire, en coordination avec les différents services concernés et en offrant ses services aux établissements. Ainsi, les participant·e·s aux formations continues peuvent bénéficier d’une expertise concrète et adaptée aux contextes locaux.

« Créer un véritable partenariat avec la personne concernée, sa famille et les professionnel·le·s des domaines de la santé et du social est essentiel. »

Un autre aspect important pour nous, c’est de pouvoir ouvrir nos formations dans une logique interdisciplinaire, en accueillant autant des infirmières et infirmiers que des éducatrices et éducateurs ou encore des enseignant·e·s.

Finalement, les formations continues sont importantes pour permettre aux professionnel·le·s de profiter d’un espace privilégié où elles et ils sont en dehors des situations « à chaud ». Il ne s’agit pas seulement de réfléchir à une prise en charge technique sur le moment, mais aussi de travailler sur un environnement, sur la dynamique d’équipe, les logiques de travail en réseau et de gestion de projet de prévention et d’intervention.

A. Veyre : Dans le domaine de la recherche, il y a eu plusieurs projets menés par Morgane Kuehni et d’autres collègues, entre 2015 et 2017, puis entre 2020 et 2021. Ces recherches avaient notamment pour objectif de mieux saisir la complexité des situations et les répercussions en termes d’accompagnement et de rapport au travail pour le personnel éducatif. Les résultats mettent, notamment, en évidence les enjeux référant aux soutiens aux équipes éducatives. 

Dans cette perspective, nous menons actuellement un projet en étroite collaboration avec Eben-Hézer Lausanne, afin de soutenir le développement de la communication des adultes présentant une déficience intellectuelle avec peu ou pas de langage oral. Le projet a été impulsé par les professionnel·le·s d’Eben-Hézer qui peinent à bien comprendre les demandes des personnes concernées et à se faire comprendre. Un des résultats intermédiaires de cette recherche, pour en tout cas un des participant·e·s, c'est que l'équipe observe une diminution de ces comportements-défis au quotidien grâce à une intervention ciblant la prévisibilité de l'environnement physique et social. Concrètement, des outils ont été mis en place pour que la personne puisse anticiper l’organisation de sa journée, par exemple, ses rendez-vous avec sa physiothérapeute. 

Le Laboratoire de recherche santé-social (LaReSS) de la HETSL a également organisé, en septembre 2022, en collaboration avec la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) du canton de Vaud, une journée d'étude que l’on peut voir comme le signe d'une volonté affirmée de travailler ensemble autour de ces préoccupations.  

« Un autre aspect important pour nous, c’est de pouvoir ouvrir nos formations dans une logique interdisciplinaire, en accueillant autant des infirmières et infirmiers que des éducatrices et éducateurs ou encore des enseignant·e·s. »

Quels sont les défis et enjeux que vous voyez actuellement dans le domaine de l’accompagnement des situations complexes ?  

A. Veyre : Plusieurs enjeux sont identifiés. On peut notamment citer la nécessité d’avoir une approche coordonnée et adéquate en termes de ressources humaines et financières. Créer un véritable partenariat avec la personne concernée, sa famille et les professionnel·le·s des domaines de la santé et du social est essentiel. Ouvrir des espaces pour partager les expériences, pour réfléchir ensemble aux différentes situations et penser les interventions est également une piste envisagée lors de la journée d’échange de septembre dernier.  

Faire une place, dans les enseignements au niveau Bachelor, Master et dans la formation postgrade, à cette thématique est également une nécessité. Au niveau de la recherche, il serait important de combler le manque de documentation sur les situations rencontrées, afin de pouvoir monitorer les besoins des différents acteurs concernés, mais aussi pour mieux connaître les réalités que cela concerne.  

B. Perret : Il y a aussi un enjeu autour du fait que les professionnel·le·s puissent disposer de levier d’action pour faire face aux situations complexes et qu'elles et ils puissent rester plus longtemps dans les équipes en place au sein des institutions, dans lesquelles il y a un fort turn over.  

Dans le champ du travail socio-éducatif, il y a un manque récurrent de personnel, qui rend difficile la mise en place de solutions qui nécessitent des collaborations importantes entre professionnel·le·s. 

Finalement, il serait important de pouvoir mener des recherches évaluatives au sein des institutions ; pouvoir suivre des équipes qui ont participé à une formation continue et ainsi illustrer et mettre en perspective ce qui a été aidant et ce qui a posé problème pour un transfert de compétences au sein de leurs contextes spécifiques de travail. 

Propos recueillis par Noémie Pulzer