Thèse

Les temporalités du deuil : analyse des pratiques professionnelles de l’accompagnement professionnel du deuil


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Félicitations à Aurélie Jung qui a défendu sa thèse « Temporalités de l’accompagnement des personnes en deuil : Analyse des discours et des pratiques professionnelles au sein des dispositifs romands » lors d’une soutenance publique le 8 mars 2024 à l’Université de Genève. Elle nous parle de sa thèse.

Aurélie Jung

Aurélie Jung

Que nous dit l’évolution socio-historique de l’accompagnement du deuil depuis le 19e siècle ?

Avant les années 50, la mort et le deuil sont vécus individuellement, mais aussi collectivement – à travers des rituels communautaires, religieux et le port d’habits spécifiques pendant un temps donné – qui permettaient une identification des personnes en deuil et leur protection sociale dans la durée. Puis ces règles ont tendu à disparaitre au début du 20e siècle avec notamment l’avènement de la technicisation de la mort par la médecine, l’institutionnalisation croissante de la fin de vie, l’urbanisation croissante des villes, le recul des religions et les guerres mondiales. Les sociologues et anthropologues des années 50-80 font état d’une incapacité des sociétés occidentales à prendre en charge ses mourant·e·s et ses mort·e·s, par le recours à la notion de tabou.

À partir des années 1980, diverses disciplines comme la médecine palliative et la psychologie s'engagent dans un processus de réhumanisation de la fin de vie et de compréhension du « travail » de deuil, menant à une professionnalisation croissante de l'accompagnement du deuil. Cependant, cette évolution s'accompagne d'une perte progressive de la dimension communautaire dans la gestion de la mort et du deuil.

« Les sociologues et anthropologues des années 50-80 font état d’une incapacité des sociétés occidentales à prendre en charge ses mourant·e·s et ses mort·e·s, par le recours à la notion de tabou. »

Pour votre enquête, vous êtes allée à la rencontre de 50 professionnel·le·s. Que révèlent leurs discours ?

Mes recherches de terrain dans des dispositifs romands montrent quatre temporalités distinctes, auxquelles sont rattachées des prestations spécifiques, donnant lieux à des pratiques soutenues par des discours professionnels bien rôdés.

Ces quatre temporalités sont : l’accompagnement des proches lors de la fin de vie, la prise en charge des proches au moment du décès, les aides organisationnelles et administratives dans les premiers temps de deuil et le soutien psychosocial pendant le deuil. Pour les proches en deuil, l’accompagnement est marqué par des multiples ruptures de relations avec les professionnel·le·s et parfois des formes d’errance entre les dispositifs. Du côté des professionnel·le·s, leurs discours énoncent l’importance de ne pas pathologiser le deuil, d’outiller les proches dès la fin de vie face au deuil à venir en leur permettant d’identifier leurs ressources, de créer des espaces d’écoute dans lesquels le besoin de raconter des endeuillé·e·s peut trouver un exutoire.

« Le temps à disposition pour le deuil est court et subit une pression forte à la performativité de soi. »

Que peut-on dire de la place du deuil dans nos sociétés contemporaines ?

Aujourd’hui, il n’est plus possible d’identifier qui de nos proches, de nos ami·e·s ou de nos collègues se sentent en deuil. Le temps à disposition pour le deuil est court et subit une pression forte à la performativité de soi. Il s’agit de « réussir » son deuil comme on se doit de réussir tous les autres aspects de nos vies. La professionnalisation touche de plus en plus des pratiques et tâches avant réalisées par les personnes en deuil (comme les démarches administratives). Les pratiques liées au deuil sont ainsi marchandisées, externalisées et déléguées en dehors de la sphère privée, peut-être par ce manque de temps dans une société où le deuil n’a que peu de place.

Dans nos sociétés contemporaines, le deuil n’est pas un objet politique en soi alors même qu’il entraine des enjeux économiques importants, tels que les arrêts maladies par exemple tout simplement pour la société. Les coûts de prise en charge sont inversement à la charge des personnes en deuil, jusqu’à la reconnaissance d’un deuil « pathologique » et donc une prise en charge remboursée par la LAMAL par un ou une spécialiste (médecin, psychiatre).