“On est au fond du trou, et il faut trouver des solutions”. C’est la première phrase du Professeur Stéphane Rullac lorsque nous l’interrogeons au sujet de son texte intitulé “Le travail social va sauver le monde !”, premier numéro de la nouvelle collection “Brochure” de la revue Sociographe. De quel cataclysme le chercheur de la HETSL parle-t-il ? Du dérèglement climatique, mais aussi du néo-libéralisme qui vise la croissance économique infinie “alors que les ressources s’épuisent et qu’il y a une extinction de la biodiversité”. Visiblement engagé, Stéphane Rullac a écrit un manifeste où il explique selon lui une perspective pour que le travail social participe à l’avènement d’un monde pérenne et plus juste pour toutes et tous.
Quel est le problème ?
À titre d’exemple, l’utilisation du pétrole a changé la face du monde et nous payons aujourd’hui les dégâts environnementaux de cette utilisation. La répartition des richesses est un problème corollaire : il n’y a pas de riches sans pauvres, et pas de pauvres sans exploités. Donald Trump est la caricature de ce monde insoutenable car il représente un modèle sociétal à bout de souffle, l’ultra-libéralisme, qui est ancré dans l’exploitation infinie des richesses dans un monde fini. Le travail social a été une béquille pour ce modèle de société, dont le but historique n’était pas d’émanciper les plus démunis ou d’augmenter leur capacité d’agir, mais de les maintenir en bas de l’échelle en étant productifs ! Il y a une nécessité à changer de modèle, et le travail social pourrait devenir une discipline à la pointe, au lieu d’être vue aujourd’hui comme une discipline de seconde zone, quand elle existe, loin derrière la sociologie, par exemple.
« Le travail social pourrait devenir une discipline à la pointe, au lieu d’être vue aujourd’hui comme une discipline de seconde zone. »
Comment “sauver le monde”, précisément ?
La réhabilitation du travail social peut contribuer à transformer le modèle de société de fond en comble. Le travail social doit se reconstruire à partir des personnes concernées : ce sont ces expert·es d’usage du travail social qui ont les solutions de demain. En tant que perdant·es du système capitaliste libéral actuel - les bénéficiaires de l’aide sociale, les migrant·es, les personnes en situation de handicap, etc., sont les seules personnes en capacité de sortir de ce modèle : elles ont en effet la résilience nécessaire pour y avoir résisté. Cette perspective renverse les normes : les gagant·es d’hier sont les perdant·es d’aujourd’hui et inversement. La mobilisation de ces expert·es repose sur une approche participative qui est finalement la technologie centrale du travail social, pour fonder une recherche en travail social forte, dédiée au développement et à l’innovation sociale.
Quels sont les enjeux que les laissés-pour-compte d’aujourd’hui devraient empoigner ?
Il faut partir des problématiques individuelles de base, comme manger, dormir, être en bonne santé, travailler, et trouver des solutions avec et pour les personnes concernées. Dans cette perspective, la production n’est plus le but principal de l’innovation, mais l’impact social, au service du bien-vivre et de l’élan démocratique. Tous ces « petits » projets s'implantent dans des dispositifs « orientées solution » qui modifient le réel, et améliore la société de manière systémique ; au niveau social, économique, climatique, etc., car tout est lié.
« J’ai dû sortir de mon style scientifique. D’un texte initial de 70 pages que je croyais simple, je suis arrivé à une trentaine de pages avec l’aide de collègues. C’est la condition sine qua non pour que la science atteigne le citoyen. »
Avez-vous un exemple concret ?
Je pense à la recherche intitulée « “Franchir le mur du son" : une plateforme numérique d'information et de coaching pour favoriser l'emploi au-delà de la déficience auditive », co-dirigée avec mon collègue Robert Frund. L’objectif de cette étude est de tester la faisabilité d’une plateforme numérique qui permet de favoriser l’accès à l'emploi des personnes présentant une déficience auditive, en mettant des ressources à disposition des employeurs et des candidats potentiels. Ce projet a été financé par l'Innovation booster Technology and Special Needs, co-porté de la Fondation pour la recherche en faveur des personnes Handicapées et Innosuisse. En partant du problème d’une éducatrice sociale HES présentant une déficience auditive pour trouver un emploi, ce projet a créé un collectif qui a développé une application qui a servi à répondre à une problématique collective.
Quel rôle peut jouer la technologie dans votre nouveau modèle ?
D’abord, la science technologique vient en appui aux sciences sociales. C’est une inversion des normes actuelles de légitimité scientifique. Ensuite, l’IA peut permettre à des non-scientifiques d’avoir une expertise méthodologique, au service d’une fonction de co-chercheuse et co-chercheur ponctuel·le. Je suis donc très favorable aux applications technologiques qui soutiennent la participation des professionnels et des experts d’usage à participer pleinement des recherches-actions collaboratives.
Le style de votre texte est loin de l’écriture scientifique. Pourquoi ?
Cette collection, tout en faisant appel à des scientifiques et à des savoirs issus de la recherche, publie des textes qui s’apparentent à des manifestes. Soit des textes plus directs, sans références théoriques ni bibliographiques. J’ai dû sortir de mon style scientifique. D’un texte initial de 70 pages, que je croyais simple, je suis arrivé à une trentaine de pages accessibles au plus grand nombre, avec l’aide de collègues, notamment de la HETSL que je remercie au début de la brochure. C’est la condition sine qua non pour que la science atteigne le citoyen.
Note : “Le travail social sauvera le monde!”, Brochure, Le Sociographe
La Revue Le Sociographe est soutenue par la HETSL