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Prévenir les expulsions et la perte de logement : enjeux, pratiques et défis


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L’Observatoire des précarités a organisé en juin sa 4ᵉ rencontre de l’Espace thématique “Précarité et logement” avec une cinquantaine de professionnel·les de toute la Suisse romande.

L’expulsion forcée est le cauchemar de tout locataire ou sous-locataire qui en est menacé. Elle représente également une intervention sociale lourde, nécessitant une mobilisation rapide des professionnel·les. Comment éviter d’en arriver là ? Quels leviers les professionnel·les peuvent-ils mobiliser pour aider les personnes à conserver leur logement et prévenir les expulsions ? Et comment accompagner les personnes de manière efficace et adéquate dans ces situations ?

C’est pour évoquer concrètement ces questions que s’est tenue, mardi 17 juin dernier à la HETSL, la 4ᵉ rencontre de l’Espace thématique “Précarité et logement” de l’Observatoire des précarités. Trois professionnel·les du terrain ont présenté leurs champs d’activité respectifs. Une cinquantaine de personnes, provenant de plusieurs cantons romands ont fait le déplacement.

« J’ai des enfants, je ne peux pas être expulsé »

Nathan Broquet, travailleur social logement au sein du secteur logement de l’ARASOL (Association Régionale pour l’Action Sociale dans l’Ouest lausannois), a expliqué que son unité reçoit automatiquement les ordonnances d’expulsion de la Justice de paix. Cela permet de contacter les personnes concernées et de mettre en œuvre ce qui est possible pour retarder l’échéance, mais aussi pour les préparer au mieux à ce qui va se passer.
« De nombreuses personnes ne croient pas à ce qui va leur arriver. Certaines idées reçues persistent : “j’ai des enfants”, “je suis suisse”, “c’est la trêve hivernale, donc on ne peut pas m’expulser”. Mais malheureusement, ces situations n’empêchent pas les expulsions. »

Nathan Broquet a également souligné l’importance de miser sur « une transparence et une compréhension des objectifs communs avec les gérances d’immeubles », afin de pouvoir négocier des délais ou obtenir la prise en charge des arriérés de loyers par le RI, au titre d’aide casuelle, pour préserver le logement. « Mais comme cela dépend du bon vouloir des gérances, maintenir un lien de confiance avec elles est nécessaire ».

En 2024, l’ARASOL a reçu les copies d’environ 75 ordonnances d’expulsion de la part de la Justice de paix, soit une augmentation de 63 % depuis 2022.

« De nombreuses personnes ne croient pas à ce qui va leur arriver. Certaines idées reçues persistent : “j’ai des enfants”, “je suis suisse”, “c’est la trêve hivernale”. Malheureusement, ces situations n’empêchent pas les expulsions. » 

Nathan Broquet, travailleur social logement au sein du secteur logement de l’ARASOL

« Judiciariser la procédure permet de gagner du temps »

Simon Dubois et Joachim Guex, coordinateurs sociaux de l’AVSL (Association vaudoise pour la sauvegarde du logement des personnes précarisées), disposent d’une autre possibilité d’agir, plus en amont : la majorité des personnes qui les contactent (39 %) en sont encore au stade de la résiliation du bail, tandis que seulement 13 % les sollicitent après avoir reçu leur ordonnance d’expulsion — un stade où il est plus difficile d’intervenir, en raison de l’urgence ou du refus du propriétaire de négocier. Une détection précoce des situations à risque de perte de logement laisse donc davantage de marge de manœuvre pour trouver une solution de maintien dans les lieux.

« Avec les personnes qui reçoivent une résiliation de bail, on peut judiciariser la procédure ». Cela signifie qu’il faut vérifier que les procédures ont été respectées, et si ce n’est pas le cas, passer par voie judiciaire pour annuler la résiliation. Ces vérifications nécessitent une connaissance approfondie des procédures, ce que la plupart des ménages et des professionnel·le·s n’ont pas. « Par exemple, dans le cas des sous-locations, certaines formalités impératives en droit du bail ne sont presque jamais respectées, notamment la remise de la formule officielle de notification du loyer initial (feuille verte) ou celle de notification de résiliation de bail (feuille bleue) L’absence de ces formulaires permet de judiciariser la situation ou de menacer de le faire en expliquant au (sous) bailleur que le montant du loyer pourrait être renégocié (car l’absence de la feuille verte permet de demander en tout temps la fixation judiciaire du loyer) ou que la demande de départ est nulle (en l’absence de la feuille bleue). Cela permet de faire baisser la tension, de rééquilibrer le rapport de force, et surtout de faire gagner du temps aux personnes pour se retourner ». Une étape importante, dans la prévention des expulsions, consiste donc à vérifier ces éléments, ou s’adresser rapidement aux services compétents.

Dialogues entre professionnel·les du terrain

Dans le public, des représentant·es d’associations, de fondations, d’institutions publiques et parapubliques oeuvrant, pour la plupart, dans les domaines de la santé et du social échangent autour de leurs pratiques, confrontent leurs expériences et s’interrogent sur les marges de manœuvre possibles face aux expulsions :

  • « N’y a-t-il vraiment plus rien à faire lorsque l’expulsion est ordonnée ? Quid d’une demande de délai humanitaire ? »
  • « On a réussi à obtenir quelques semaines de délai humanitaire après la date d’expulsion pour une personne dans notre commune. »
  • « S’il y a harcèlement du propriétaire, qu’il vient toquer à la porte plusieurs fois par semaine, qu’il entre dans l’appartement quand les parents ne sont pas là et que les enfants lui ouvrent, peut-on faire annuler l’expulsion ? »
  • « Non, mais cela peut jouer en sa défaveur si la personne dépose plainte pour violation de domicile. »
  • « Est-ce qu’une lettre de l’assistante sociale justifiant de la détresse des personnes peut être un élément qui retarde l’expulsion ? »
  • « Légalement, non. »

« L’absence de formulaires devant être remis au locataire permet de judiciariser la situation. Cela permet de faire baisser la tension, de rééquilibrer le rapport de force, et surtout de faire gagner du temps aux personnes pour se retourner »

Simon Dubois et Joachim Guex, coordinateurs sociaux de l’AVSL

Les échanges entre professionnel·les révèlent une diversité de pratiques en matière d’accompagnement des locataires menacés d’expulsion :

« À l’ASLOCA Genève, on peut être jaloux de vous, l’ARASOL et l’AVSL, pour ce travail en amont que vous faites », exprime un représentant genevois de l’Association de défense des locataires, en référence notamment aux contacts pris avec les instances judiciaires ou les bailleurs.  « Il y a 60 audiences d’évacuation ordonnées par semaine à Genève. On a vraiment quelque chose à apprendre du canton de Vaud. » 

Des représentant·es d’une institution publique genevoise témoignent : « À Genève, on est aussi informés de la situation, on accompagne les personnes en amont, mais il y a un bout de suivi que l’on n’assure pas, et nous ne sommes pas là pendant l’expulsion. Vous, vous accompagnez les locataires devant l’huissier. »

« À Montreux aussi, on est présents lors de l’exécution forcée d’expulsion », ajoute la responsable de l’Office du logement.

Intervenir dans des contextes de vulnérabilité psychique

Un représentant d’une fondation vaudoise, qui met à disposition des logements à des personnes âgées en situation de précarité, se questionne au sujet d’un locataire présentant un syndrome de Diogène :

« Que faire, en tant que bailleur, lorsqu’on estime qu’il y a un trouble de la santé mentale, que la personne refuse la visite d’un médecin, et que, pour des raisons de salubrité, on envisage de résilier le bail ? Qui peut-on appeler ? »

Une personne mentionne un cas comparable dans lequel l’intervention du Centre médico-social régional a permis de débloquer la situation.

« Peut-être que si les gérances savaient à qui s’adresser pour éviter une expulsion, ce serait une solution ? », s’interroge une personne travaillant dans une structure qui dispose de baux à loyer. Cette question demeure ouverte. Dans quelle mesure les gérances sont-elles disposées à collaborer avec les structures sociales ? Et à quelles conditions ?

La richesse des témoignages et échanges entre professionnel·le·s a illustré la nécessité de cette rencontre pour le secteur de l’action sociale et sanitaire.

Un deuxième volet aura lieu à l’automne. La date sera communiquée prochainement.