Dans la salle M4193 au 4e étage d'Uni mail à Genève, Stéphanie Garcia retient son souffle. Il est 14h29 ce 17 septembre, la soutenance de sa thèse, qui porte sur la relation aux parents des éducatrices et éducateurs de la petite enfance, va débuter. Un public de 25 personnes lui fait face dans la salle. Ses ami·e·s et sa famille, mais aussi des consoeurs et confrères du domaine, de la HETSL ou de l’université de Genève. Face à elle, cinq juré·e·s, dont deux présentes à distance depuis Liège et Paris et projetées à l’écran.
C’est l’heure. Très à l’aise dans sa prise de parole, Stéphanie Garcia présente le résultat de ses 7 années de travail en regardant le public. Titre complet de sa thèse: “Les compétences interactionnelles des éducateurs et des éducatrices de l’enfance dans les relations avec les parents au croisement des pratiques de travail, de formation et de recherche.” Expliquant sa méthodologie, elle diffuse des enregistrements vidéos et sonores réalisés avec des éducatrices, qui évoquent ensemble des situations délicates vécues avec les parents. Le cas d’un père, revenant chercher la lolette de son fils dans la salle de crèche alors que l’éducatrice est en train de faire le retour à un autre parent, est notamment évoqué. On entend les professionnelles se questionner sur la question de l’adresse indirecte du père, qui semble parler tout seul “elle est où cette lolette”, mais pourrait tout à fait être en train de faire passer le message suivant aux éducatrices “aidez-moi à retrouver cette lolette”. Ainsi, comme l’expose Stéphanie Garcia, l’intervention d’une chercheuse sur le terrain et les discussions analytiques qu’elle mène auprès des professionnelles, permet de former les éducatrices à cette analyse sur leur propre travail, dans le but de fournir un meilleur échange avec les parents. Et d’être reproduit plus tard, en formant les nouvelles recrues à cette manière de faire.
Commencent ensuite les commentaires et les questions des juré·e·s. Tout le monde souligne la particularité d’une thèse constituée d’articles publiés. Florence Pirard, professeure à l’Université de Liège, s’en est enthousiasmée (“une thèse en 7 articles, c’est remarquable, je n’avais jamais vu ça avant!”) Anne-Lise Ulmann, professeure au Conservatoire national des arts et métiers de Paris, a avoué “avoir été perdue dans l’articulation des articles”, avant de reconnaître que ce travail avait le mérite de “réinterroger ce qu’était une thèse”. Germain Poizat de l’Unige, a aussi reconnu qu’une thèse sur travaux était “particulièrement impressionnante pour un juré”, avant de taquiner la doctorante sur l’utilisation fréquente du mot “complexe” dans son travail: ne serait-ce pas uniquement “par esthétique de la complexité”? Même face à des questions déstabilisantes, Stéphanie Garcia répond avec facilité et assurance.
Un moment d’émotion, partagé par tout le public, a lieu à la fin de la prise de parole du directeur de thèse, Laurent Filliettaz. Il livre une tranche toute personnelle de la relation par toujours simple entre directeur de thèse et doctorante “Je n’oublierai jamais, confie-t-il, le dernier e-mail envoyé par Stéphanie, dans lequel elle écrivait”: “J’ai fini ma thèse, j’ai fait ce que j’ai pu avec les conditions qui étaient les miennes et je suis contente d’être allée jusqu’au bout.” “Je suis aujourd’hui moi aussi très heureux que tu sois allé jusqu’au bout, Stéphanie”, lui déclare-t-il alors qu’elle essuie une larme.
Après une courte délibération, le moment tant attendu arrive: Stéphanie Garcia reçoit son titre de docteure et les félicitations du jury. Ses notes: 5,5/6 pour l’écrit, et 5,75/6 pour l’oral. Place à l’apéritif !
Quelques questions à Stéphanie Garcia:
Comment vous sentez-vous avec la fin de cette thèse? Avez-vous eu l’envie d’abandonner par moments ?
Je suis soulagée et très contente de comment s’est passée la soutenance. Mais j’avoue que je n’ai pas encore eu le temps de réaliser le fait que c’est fini: j’enseigne à 90% à la HETSL dans la filière Travail social (en tant que Maitre d’enseignement, ndlr) et la fin de ma soutenance coïncidait avec la rentrée académique…
« La question d’abandonner sa thèse va forcément nous traverser. Si l’on se prépare à surmonter ce moment, on est plus aguerri. »
L’idée d’abandonner m’a effectivement traversée à plusieurs reprises. Il me semble qu’il faut plutôt normaliser les doutes qui peuvent survenir à chaque étape : comment construire un projet de recherche, approcher les terrains, s’approprier un sujet au sein d’une équipe de recherche. J’ai beaucoup appris en étant représentante des doctorant·e·s à l’unige pendant 2 ans, où j’ai côtoyé beaucoup de doctorant·e·s avec les mêmes doutes et les mêmes tentations de baisser les bras. Si on part du principe que cette question d’abandonner sa thèse va forcément nous traverser, et que l’on se prépare à surmonter ce moment, on est plus aguerri·e. Ce qui m’a également fait tenir bon, c’est de me raccrocher souvent au terrain. De croiser ces éducatrices, des formatrices et formateurs ou des étudiant·e·s pour qui ma recherche avait du sens, cela a nourri mes réflexions et m’a convaincue qu’il valait la peine de continuer.
Quel était votre but en réalisant cette thèse ?
J’avais été traversée par beaucoup de questions lorsque j’étais moi-même éducatrice de la petite enfance. “Tout se joue avant 4 ans”, entend-on souvent, ce qui est ressenti comme une forte injonction d’excellence pour les métiers de la petite enfance. Et en même temps, ces métiers-là ne font que rarement l’objet d’attention scientifique. C’était l’occasion pour moi de placer ces professions dans le champ dans la recherche.
« Tout se joue avant 4 ans, entend-on souvent, ce qui est ressenti comme une forte injonction d’excellence pour les métiers de la petite enfance. »
Quels sont vos projets actuels ?
Outre l’enseignement, je compte retourner sur les terrains avec mes résultats pour donner un retour. Se pose aussi maintenant la question de la diffusion de ces résultats, peut-être à construire avec les professionnel·le·s. Je prône l’articulation entre les trois axes, soit le travail, la formation et la recherche.