Interview

"Mais concrètement, on va faire quoi?": une artiste chez les chercheur·es


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Virginie Rebetez, photographe, a collaboré avec des chercheuses et chercheurs de la HETSL dans un projet anthropologique autour de la mort. Elle raconte.

© Noura Gauper

© Noura Gauper

Le projet de communication scientifique Telling Death - Raconter la mort, mené par Marc-Antoine Berthod et Veronica Pagnamenta arrive bientôt à l’ultime jalon de son parcours, soit une installation artistique dans les murs de la HETSL le 18 mars prochain. On pourra y écouter les 6 podcasts composés de discussions intergénérationnelles autour de la mort. Et on y verra également les œuvres de la photographe Virginie Rebetez, qui a reproduit en impression 3D les objets des défunts dont parlent les personnes dans le podcast. L’artiste vaudoise nous indique ce qu’elle retient de cette collaboration plutôt rare entre art et recherche.

Qu’est ce qui diffère entre l’approche artistique et celle de la recherche ?

Sur le fond, pas grand chose : on avait tous une grande curiosité par rapport à ce thème passionnant. Et je me sentais très en phase avec ces anthropologues : j’aurais probablement choisi cette voie si je n’étais pas devenue photographe.

Ce qui diffère principalement, c’est dans la manière de procéder : là où les chercheuses et chercheurs se posent beaucoup de questions, évaluent tous les points de vue, et pèsent chaque mot “parce qu’on ne peut plus dire ça de cette manière aujourd’hui”, je suis plus directe. Au début, j’ai même eu du mal à comprendre le projet. Il y avait beaucoup de mots, beaucoup d’abstrait. Je demandais régulièrement “mais concrètement, on va faire quoi?”. Il y avait aussi beaucoup de précautions qui étaient prises avant de s’adresser aux gens. Par exemple par rapport au droit d’image et à l’anonymat s’ils devaient être pris en photo. Moi j’avais tendance à dire “on n’a qu’à leur demander directement”.

Je crois que ça s’est dénoué à la fois en leur posant mes questions, et en acceptant également d’avancer un peu à l’aveugle, par tâtonnement. Comme eux, finalement.

Une autre chose qui diffère également dans nos méthodologies, c’est les discussions sur le travail en cours. Je suis plutôt sauvage, et je n’ai pas l’habitude de partager pendant le processus de création. Or les chercheuses et chercheurs communiquent régulièrement et sans problème sur le travail en cours. C’était très nouveau pour moi.

« Une chose qui diffère dans nos méthodologies, c’est les discussions sur le travail en cours. Je suis plutôt sauvage, et n’ai pas l’habitude de partager pendant le processus de création. Or les chercheuses et chercheurs communiquent régulièrement. C'était nouveau pour moi.”. »

Y avait-il des attentes du côté de la recherche ? 

En dehors du fait de m’engager dans cette collaboration, aucune. J’avais beaucoup de liberté, on m’a fait confiance, j’ai fait ce que j’avais envie de faire, on ne m’a pas guidé vers un projet défini à l’avance. Ça s’est construit au fur et à mesure. Je n’avais pas d’idée précise sur ce que j’allais produire, au départ. J’ai pu participer à toutes les rencontres intergénérationnelles (qui ont donné la matière brute aux podcasts, ndlr), et en les écoutant, j’ai eu l’idée de travailler sur les objets ayant appartenu aux défunts dont les personnes parlaient. C’était une vraie co-construction, chacun s’occupant de sa partie - eux les podcasts, moi le projet artistique autour des objets. 

Vous aviez déjà traité le sujet de la mort avec de nombreux projets. Qu’est-ce qui vous inspire dans ce thème ?

Ce n’est pas la mort en tant que telle qui m’intéresse, mais l’histoire des gens, notamment des absents, qui n’ont pas eu l’occasion de raconter leur histoire. Je trouve qu’il y a peu d’endroits qui existent pour parler d’eux - les morts et les absents - et ce projet Telling Death comble justement ce manque.

« J’avais beaucoup de liberté, on m’a fait confiance, j’ai fait ce que j’avais envie de faire, on ne m’a pas guidé vers un projet défini à l’avance. »

Envisagez-vous dans le futur une nouvelle collaboration avec des chercheuses et chercheurs ?

Oui, absolument. J’ai depuis longtemps envie de me pencher sur le sujet des migrants morts en Méditerranée, par exemple. Et je pense qu’avec la chercheuse Veronica Pagnamenta (de l’équipe Telling Death – Raconter la mort, collaboratrice scientifique à la HETSL), nous pourrions former un duo vraiment intéressant.