Si vous êtes passés par le bâtiment central de la HETSL en mars dernier, vous avez certainement aperçu l’exposition clôturant le projet de communication scientifique Telling Death d’une équipe du LaReSS. Des objets réalisés en impressions 3D sur socle vert fluo et recouverts de cire bleue, des posters aux murs, six stations d’écoute en libre service pour écouter les épisodes du podcast réalisé dans le cadre du projet.
Mais avez-vous repéré la fameuse “Boîte -noire- de la mort” dans un coin du bâtiment ? Cet ancien coffre de bois à la peinture écaillée a accompagné le projet Telling Death à de multiples occasions, et a servi de médiateur entre le grand public, des chercheuses et chercheurs et des personnes ayant une profession en lien avec la mort.
Une de ses conceptrices, Line Rochat, responsable de recherche au ColLaboratoire de l’Unil, nous raconte la fonction de cet atelier particulier.
Quand avez-vous rejoint l’aventure Telling Death ?
Notre collaboration avec l’équipe de Marc-Antoine Berthod et la HETSL sur la question de la mort a démarré en 2018 suite au Postulat de la députée Léonore Porchet déposé au Grand Conseil Vaudois. Elle s’est poursuivie depuis, dans le cadre de la convention de collaboration qui lie notre équipe et l’Office du médecin cantonal et dans la co-requérence en 2023 du projet de communication scientifique « Telling Death-raconter la mort » financé par le Fonds national suisse de la recherche.
Avec mes collègues Laetitia Della Bianca et Leyla Fessler, nous avons imaginé un dispositif qui favorise la mise en commun et en dialogue de savoirs autour de la mort issus de mondes différents : académique, pratique, expérientiel. Compte tenu de la teneur particulière du sujet auquel nous avions à faire, nous avons cherché à créer un espace dans lequel ces savoirs différemment ancrés pouvaient se retrouver, en évitant de focaliser l’attention sur l’un ou l’autre, tout en maintenant la spécificité de la thématique de la mort et du post-mortem, le tout dans une atmosphère la plus confortable possible. Passer par les objets pour raconter une histoire nous a semblé constituer le moyen le plus adéquat pour y parvenir : l’attention se dirige sur l’objet, et contraint le décentrement de sa posture, ce qui offre au regard une autre perspective sur le monde. L’atelier a été reproduit quatre fois en tout, en collaboration avec Connaissance 3, l’Université des seniors, et la commune de Chavannes-près-Renens, partenaires du projet.
« Les participant·es nous ont rapporté avoir apprécié parler et entendre parler de la mort par celles et ceux qui l’entourent. Des récits d’expériences de praticiennes et praticiens du funéraire sont rarement accessibles au grand public, tout comme le sont les occasions pour elles et eux d’en rendre compte. »
Comment fonctionne cet atelier ?
Nous avons imaginé un dispositif d’une heure trente, qui se présente comme une invitation à l’exploration : de la Boîte -noire (parce que mystérieuse)- de la mort et des objets qu’elle contient. Mes collègues et moi-même sommes parties glaner une cinquantaine objets ici et là : familles, proches, connaissances, praticiennes et praticiens du funéraire et du post-mortem. Ces objets font référence à divers domaines traversés par la mort : administratif, financier, spirituel, transmission, héritage, mémoire, traitement funéraire du corps, arts ou encore sciences. On y trouve donc une diversité d’objets, certains à vocation d’usage, d’autres symboliques. Par exemple, un testament, des formulaires d’obsèques, une photo de famille, un livre de recette de grand-mère, une bougie ou encore un clip pour garder les yeux des défunts fermés.
L’exploration prend aussi la forme de la création, puisque les participant·es étaient invités à choisir un objet et à produire un petit récit au nom de ce dernier. Par exemple, “je suis un bouton de deuil, on m’utilise dans telle circonstance, etc”. Il·elles échangeaient ensuite sur leur récit en petits groupes puis en collectif avec les chercheuses et chercheurs, praticiennes et praticiens du funéraire présent·es, qui prenaient par ailleurs part à l’atelier et aux activités au même titre que les participant·es. Un petit apéritif prolongeait l’atelier et permettait aux personnes qui le souhaitaient de poursuivre les échanges initiés au cours de la rencontre.
Quel est le but recherché ?
Il s’agissait avant tout de créer un espace de rencontre entre des mondes qui se côtoient peu en favorisant une conversation collective autour de la mort. L’atelier était destiné à un public large qui n’a pas nécessairement connaissance des travaux académiques menés sur la question ni des expériences des professionnel·les du funéraire. Les récits produits, presque une centaine, laissent une trace de ces échanges. Les participant·es nous ont rapporté avoir apprécié parler et entendre parler de la mort par celles et ceux qui l’entourent. Des récits d’expériences de praticiennes et praticiens du funéraire sont rarement accessibles au grand public, tout comme le sont les occasions pour elles et eux d’en rendre compte. Ces moments de contact entre mondes différents ont produit des réactions parfois émotionnelles, surprenantes, voire troublantes auprès du public, et ont surtout éveillé un grand intérêt et l’envie d’en apprendre plus. Les échanges ont toujours été foisonnants et emprunts de vitalité.
« Les débuts et fins de vie sont marqués par des considérations qui peuvent être très pragmatiques telles que : que faire de/avec ces corps, quels lieux, quels traitements, quels statuts ? Qui sont les personnes qui en prennent soin et comment ? Qu’est-ce que ces corps étranges nous font, que viennent-ils toucher dans ce qui nous relie à la communauté humaine ? »
Cet atelier participatif est une idée du ColLaboratoire de l’UNIL. Comment fonctionne-t-il ?
L’idée de l’atelier autour d’objets a été inspirée par une méthode appelée biographie d’artefacts et par des échanges lors d’un séjour au Centre culturel international de Cerisy, notamment avec notre collègue Mélodie Faury. Au ColLaboratoire, l’équipe promeut une vision de la recherche qui cherche à tisser des liens entre disciplines et entre le monde académique et civil. Dans les projets qui nous occupent, principalement dans le domaine de la santé, nous menons des recherches avec des personnes qui ne sont pas des chercheuses ou chercheurs professionnel·les. C’est notamment le cas dans le cadre de la convention « Participation et dialogue citoyen » qui nous lie à l’Office du Médecin cantonal, avec entre autres un projet sur les expériences d’hospitalisation de personnes seniors au CHUV financé par le DSAS (Département de la santé et de l’action sociale), mené avec des co-enquêtrices et enquêteurs ayant un vécu une expérience d’hospitalisation. C’est dans une démarche similaire que nous avons co-créé, avec un groupe de personnes concernées, un outil d’exploration thérapeutique sous la forme d'un jeu de cartes (Panorama), dans le cadre d’un projet de recherche en santé intégrative financé par la Fondation Leenaards.
Vous êtes anthropologue de la naissance, et avez réalisé votre terrain de recherche de thèse dans le Service de néonatologie du CHUV. Quels sont les points communs entre le début et la fin de la vie ?
Cet intense travail de réflexion sur les pratiques d’accueil de nouveaux membres dans la communauté humaine entamé au moment de ma thèse se poursuit aujourd’hui et résonne avec la question de la mort que nous avons pu explorer dans ces ateliers participatifs. Les débuts et fins de vie sont marqués par des considérations qui peuvent être très pragmatiques telles que : que faire de/avec ces corps, quels lieux, quels traitements, quels statuts ? Qui sont les personnes qui en prennent soin et comment ? Qu’est-ce que ces corps étranges nous font, que viennent-ils toucher dans ce qui nous relie à la communauté humaine ? Quels liens tissons-nous avec ceux dont nous ne savons pas d’où ils viennent/où ils s’en vont et comment les apprenons-nous ? Des fragments de réponse à ces questions ont pu être abordés dans ces ateliers et nous apprennent, s’il le fallait encore, que des sujets qui peuvent sembler trop intimes pour être abordés en collectif constituent en réalité des espaces dans lesquels les expériences personnelles résonnent avec celles des autres et autorisent une vitalisation des attachements au collectif.