Comment vieillit-on en Suisse ? Les personnes retraitées sont-elles satisfaites ou au contraire expriment-elles des manques ou des difficultés ? Qui souffre de solitude, de la précarité et comment y remédier ? Le dernier Age Report est paru, et a fait l’objet d’un vernissage au casino de Berne le 7 novembre dernier. Cet ouvrage fournit des informations approfondies sur les conditions de vie et d’habitat des personnes âgées, sur la base d’une enquête représentative avec quelque 2644 entretiens menés dans toute la Suisse. La publication, dirigée par Valérie Hugentobler (HETSL | HES-SO) et Alexander Seifert (FHNW), paraît aux éditions Seismo. Le Age Report V est rendu possible grâce à la Fondation Age, en partenariat avec la Fondation Leenaards.
Co-doyenne du LaReSS, Valérie Hugentobler est experte en vieillissement des populations. Elle est intervenue lors du colloque Vieillissement 2030 au théâtre Beaulieu à Lausanne le 1er octobre et dans le cadre des Journées suisses du logement organisées par l’OFL le 7 novembre. Elle est aussi l’auteure de l’ouvrage Vieillir et habiter autrement, paru en octobre aux Éditions HETSL. Elle nous répond sur les enjeux de ce dernier Age Report.
Valérie Hugentobler, les personnes retraitées en Suisse sont-elles heureuses ?
L’enquête révèle que les Suisses et Suissesses ne sont pas seulement de plus en plus âgé·es, mais qu’ils et elles se sentent aussi plus longtemps en bonne santé. Cela prolonge la durée de la retraite, soit ce temps qui peut être organisé de manière indépendante. Ainsi, de nombreuses personnes âgées mènent aujourd'hui une vie quotidienne très active et développent des projets de vie plus personnalisés que les générations précédentes. Ces « années de vie gagnées » influencent également la situation du logement : les personnes âgées vivent plus longtemps de manière autonome chez elles, souvent grâce à des services d’aide et de soins ainsi que de soutien communautaires. On constate en outre une tendance vers des formes intermédiaires et variées d’habitat pour les personnes âgées (p. ex. logement accompagné ou encadré), qui permettent de retarder, voire d’éviter, l’entrée en établissement médico-social. Cependant, les personnes âgées disposant d’un niveau d’éducation inférieur, les femmes vivant seules, ainsi que les personnes très âgées (85 ans et plus) subissent souvent des restrictions financières qui nuisent à leur vie sociale et augmentent leur risque d’isolement.
Qu’est-ce qui est plus important pour les retraité·es, un logement adapté ou des relations avec le voisinage ?
Les personnes de plus de 65 ans sont généralement très satisfaites de leurs conditions de logement. Les résultats de l’enquête mettent toutefois en évidence des inégalités sociales : les personnes fortunées qui peuvent s’offrir un logement de qualité sont plus satisfaites de leur habitat que celles de même âge aux revenus moins élevés. Les personnes âgées sont très attachées à leur lieu de vie et souhaitent demeurer le plus longtemps possible dans leur quartier et leur logement. De bons contacts avec le voisinage représentent une ressource importante pour elles, et sont souvent jugés plus essentiels qu’un environnement de vie sans obstacles. D’ailleurs, seulement 34% des personnes interrogées ont indiqué que leur logement était exempt d’obstacles. Ce sont principalement les personnes disposant de moyens financiers suffisants, et propriétaires, qui peuvent se permettre des adaptations architecturales et ergonomiques adaptées à leurs besoins. Par conséquent, beaucoup acceptent les contraintes existantes afin de pouvoir rester dans leur lieu de résidence familier.
« De bons contacts avec le voisinage sont souvent jugés plus essentiels qu’un environnement de vie sans obstacles. »
Deux tiers des personnes interviewées estiment que leurs voisin·es contribuent à leur bien-être au quotidien et près d’un quart souhaiteraient avoir plus de contacts avec leurs voisin·es. Ces derniers et dernières jouent en effet parfois un rôle essentiel en tant que soutien social. C’est particulièrement le cas pour les personnes de plus de 85 ans, puisque 56% d’entre elles ont déclaré avoir besoin du voisinage pour gérer leur quotidien. Ce sont en particulier des femmes vivant seules et ayant des problèmes de santé qui se sentent tributaires du soutien de leur voisinage. Par ailleurs, les personnes, y compris très âgées, ne sont pas seulement bénéficiaires de l’aide apportée par le voisinage : 85% des personnes interrogées déclarent ainsi recevoir et apporter également elles-mêmes une aide à leurs voisin·es. Toutefois, si une majorité de personnes âgées (74%) affirme entretenir de bons rapports de voisinage, les contacts plus étroits sont souvent limités à quelques voisin·es, en particulier pour les locataires de grands immeubles. Les relations nouées avec le voisinage sont enfin fortement liées à la durée d’habitation dans un même lieu.
Où vivent les retraité·es aujourd’hui ? En couple ou seul·es ?
La tendance vers les ménages d’une seule personne ne concerne plus uniquement les femmes. En Suisse alémanique, la proportion d’hommes âgés vivant seuls est passée de 16 à 37% au cours des 20 dernières années. Par ailleurs, les appartements adaptés aux personnes âgées et d’autres formes d’habitat intermédiaire (des structures à mi-chemin entre le domicile et l’établissement médico-social), continuent de gagner en importance. Même les personnes de plus de 85 ans vivent aujourd’hui plus souvent à domicile ou dans de nouvelles formes d’habitat (p. ex. appartements adaptés aux personnes âgées). En conséquence, l’âge d'entrée dans les maisons de retraite et les établissements médico-sociaux a augmenté, tandis que la durée de séjour dans ces établissements a diminué.
« Un environnement jugé problématique a tendance à entraîner un repli sur le logement privé. Pour réduire l’isolement social il est essentiel de bien concevoir l’environnement construit - espaces communautaires, cafés, marchés aux puces - et d’effectuer un travail de proximité pour l’accompagnement. »
Quel rôle jouent l’environnement et le quartier ?
Les personnes âgées se déclarent globalement très satisfaites de leur environnement résidentiel et s’y sentent très attachées, malgré le manque partiel d’infrastructures, en particulier dans les zones rurales. Que ce soit en ville ou à la campagne, elles souhaitent rester dans leur quartier même à un âge avancé. La qualité des interactions avec le voisinage influence particulièrement ce degré de satisfaction. De plus, un lien a été établi entre la qualité de l’environnement résidentiel et l’intégration sociale. Un environnement jugé problématique a tendance à entraîner un repli sur le logement privé, ce qui augmente le risque d’isolement social chez les personnes âgées. Pour réduire l’isolement social et la solitude, il est essentiel de bien concevoir l’environnement construit avec des espaces dévolus aux rencontres (espaces communautaires, cafés, marchés aux puces, etc.) et d’effectuer un travail de proximité pour l’accompagnement.