Repenser son lien avec son propre psychisme, dépathologiser la santé mentale, s’affranchir du regard strictement médical. C’était l’ambition - réussie - de la Grange, espace exploratoire art-science de l’UNIL, lors du festival Symptomania, qui a duré du 1 au 3 octobre derniers. Fragilités passagères, maladies chroniques, les questions de santé mentale étaient au cœur de ce festival convoquant spectacles, performances, installations et rencontres.
Vendredi 3 octobre, trois chercheuses sont venues présenter les enjeux et résultats de leurs travaux, concernant l’internement administratif et psychiatrique dans l’Histoire et réunis sous le titre “Voix sous dossier : archives et vécus psychiatriques”. Parmi elles, Virginie Stucki, professeure associée au sein de la filière ergothérapie à de la HETSL, qui présentait son livre Antipsychiatrie et droit des patient·es. Mouvements contestataires et crise institutionnelle à Genève (1972-1989).
« Un collectif féministe avait volé les appareils à électro-choc d’une clinique et les avait détruits dans les bois. »
“Qu’est-ce qui m’a amenée à réaliser cette recherche à partir d’archives militantes critiquant la psychiatrie, et analysant les tensions entre institutions et mouvements antipsychiatriques ? » indique la chercheuse. « Notamment un cas en particulier, celui d’Alain Urban, interné à la clinique Bel-Air de Genève et décédé en juin 1980 lors d’une “cure de sommeil”, traitement équivalent à un cocktail de médicaments n’ayant plus cours aujourd’hui. Ce cas a été emblématique des mouvements militants de contestation des pratiques psychiatriques en institution, qui se sont renforcées après ce drame. Ces mouvements antipsychiatriques souhaitaient abolir tout traitement pratiqué sans le consentement des patient·es, soutenait le droit d’accéder à son dossier médical - un droit obtenu aujourd’hui, du moins sur le plan juridique.”
La chercheuse a basé son ouvrage sur les documents militants trouvés aux archives contestataires à Genève. Un corpus riche : des écrits, des rapports d’expertise, une correspondance de militants, des tracts, des affiches avec des caricatures, etc. “Ce cas a été bien documenté, car Alain Urban était un membre fondateur de l’association de défense des droits des usagers de la psychiatrie, à savoir l’ADUPSY. Lorsqu’il est décédé, ses ami·es militant·es ont dénoncé ce cas haut et fort et se sont battu·es.”
« Alain Urban, a été interné à la clinique Bel-Air de Genève et décédé en juin 1980 lors d’une “cure de sommeil”, un traitement équivalent à un cocktail de médicaments n’ayant plus cours aujourd’hui. »
Virginie Stucki a aussi consulté les articles de presse évoquant Alain Urban, mais aussi des actions militantes qui ont précédé ce cas. “Il y avait notamment une action faite par un collectif féministe qui avait volé les appareils à électro-choc d’une clinique et les avait détruits dans les bois.” S’ajoutent également à ce corpus les archives personnelles d’un médecin psychiatre militant de l’ADUPSY, qui contenait des notes d’infirmières tirée du dossier médical du patient, la prescription des médicaments d’Alain Urban, les expertises mandatées par l’enquête pénale demandée par les ami·es et la compagne d’Alain Urban etl’expertise des médecins alémaniques qui soutiennent la prescription médicale.
Qu’en est-il de la relation actuelle entre la corporation des psychiatres et les associations de défense des patient·es? “La collaboration est encore imprégnée de méfiance autour de ce qu’a représenté l’ADUPSY, dont les actions sont encore évoquées quand bien même l’association n’existe plus.”
Autour des tables du “world café” suivant la conférence - concept permettant d’aller échanger avec chaque chercheuse - le public, très impliqué, se retrouve. Un infirmier et un médecin témoignent par exemple des pratiques actuelles encore en vigueur questionnables sur le plan éthique, comme la question épineuse des soins forcés pour « calmer » un·e patient·e en décompensation. Un jeune homme qui a un souvenir d’une institution de santé dysfonctionnelle demande aux chercheuses combien de temps doit s’écouler pour que l’on puisse avoir accès aux archives hospitalières. Des étudiant·es en soins et santé communautaire évoquent leur stage à l’EMS et les questions éthiques que posent le décalage entre les enseignements à l’école et les réalités du terrain.
Lorsque le moment est venu de laisser place à une autre activité, beaucoup s’échangent leur carte, et se disent à bientôt. Cette médiation scientifique a visiblement trouvé son public.
