Veronica Pagnamenta, chercheuse à la HETSL, et Antoine Bal, journaliste indépendant, ont eu l’envie d’ouvrir des espaces de discussions autour de la mort et en ont fait un podcast en 6 épisodes, dans le cadre du projet de communication scientifique FNS “Telling Death -Raconter la mort” mené par Marc-Antoine Berthod. Ces épisodes sont distillés à raison d’un par mois sur le site du projet et les plateformes de streaming usuelles comme Spotify jusqu’en mars 2025.
Croque-mort, pasteure ou parapentiste
Les participant·es, résident·es valaisan·es et vaudois·es ont entre 12 et 101 ans, et discutent de la mort telle qu’ils l’ont vécue lors du décès de leurs proches et telle qu’ils se l’imaginent pour eux et elles-mêmes. Les points de vue et les expériences divergent selon les générations, les sensibilités, les villes et les zones de montagne. Ils et elles ont été recruté·es à l’aide des trois partenaires locaux du projet, à savoir le PALP festival au Val de Bagnes, la commune de Chavannes-près-Renens, et Connaissance 3, l’Université des séniors du canton de Vaud. Les podcasts donnent à entendre des conversations ordinaires, “mais justement pleines de richesse, car les paroles de l’intime sont rarement publiques”, se réjouit Véronica Pagnamenta. Les personnes enregistrées ont parfois une profession en lien avec la mort et les pratiques funéraires - on entendra un ancien croque-mort et une pasteure -, ou un rapport de proximité avec elle par le contact de la montagne et la pratique d’un sport comme le parapente, ou d’un métier à risque (ouvrier de chantier), qui amène des questionnements malgré un jeune âge. Ou simplement une expérience personnelle du deuil, une mémoire des coutumes locales sur le sujet.
“Et les cloches se sont brusquement mises à sonner…”
Il y a de l’émotion, parfois de l’humour, mais surtout “un récit” qui se dessine, comme le souligne Antoine Bal. “Nous avons fait le choix de ne pas laisser les questions et relances dans le podcast, de manière à ce que l’on puisse s'immerger dans cette conversation intime entre les participant·es.” Sur deux heures et demie de discussion enregistrée en moyenne, n’en reste que 35 minutes savamment montées, mais en laissant les interstices comme des larmes, des bruits de mouchoirs que l’on déplie, ou quelques silences lourds de sens. Mais les points saillants des épisodes sont aussi dus au coup du sort: “Nous enregistrions une conversation à l’intérieur d’une petite chapelle, et juste après le récit très fort d’un intervenant, où il racontait le poids du cercueil d’un proche sur son épaule, les cloches se sont brusquement mises à sonner, soulignant de façon solennelle le récit. Une autre fois, c’est une cloche de vache que l’on entendait sonner à un moment opportun, comme si elle venait commenter ce qui se disait. Ces moments inattendus donnent un effet presque cinématographique au projet…”
Car loin d’être un recueil de témoignages anglés par des chercheurs et chercheuses, ce projet assume aussi une dimension artistique. “Le travail de l’ingénieur du son Benjamin Vicq est remarquable, souligne Veronica Pagnamenta. Il compose avec une grande sensibilité la bande son spécifique à chaque épisode, en lien avec les propos tenus. Virginie Rebetez, photographe plasticienne, est également présente lors de chaque enregistrement. Elle revient ensuite vers les participant·es pour leur emprunter des objets ayant appartenu à des proches défunt·es. Reproduits par l’artiste, ces objets feront partie d’une exposition qui viendra ponctuer le projet en mars 2025, aux côtés de tous les épisodes du podcast.
Parler avec ses morts
Pour l’anthropologue Veronica Pagnamenta, l’aventure de ces podcasts lui permet aussi de questionner sur le terrain des thèmes abordés dans ses recherches. Elle souligne que “la fin de vie est souvent mise en avant quand on parle de mort. Or, nous traitons spécifiquement de la période post-mortem dans nos recherches et ce podcast.” Que se passe-t-il pour celles et ceux qui restent ? “Les morts sont très présents dans les récits des personnes rencontrées, et certaines les voient encore et leur parlent régulièrement”, relève Veronica Pagnamenta, intriguée par ce qui se joue chez les vivants après la mort d’un·e proche. Une participante raconte notamment dans le premier épisode du podcast, être allée tous les soirs au cimetière sur la tombe de son mari après son décès.
Florilège du premier épisode, disponible sur le site de Telling death depuis le 12 septembre:
« C’était en 1975, j’avais 20 ans. Il y avait l’année des Bagnards à Martigny, je faisais partie d’une société de jeunesse. Alors il me fallait une jupe noire, et je n’en avais pas. Ma mère m’a dit que ce n’était pas un problème, elle allait m’en faire une. Elle a pris une grande couverture en feutre, il y avait une croix argentée au milieu. Elle a décousu la croix et m’a cousu la jupe, qui m’allait plutôt bien. Mais je n’ai quand même pas osé dire à mes copines que j’avais une jupe en drap funéraire sur le dos! »
3 épisodes sont déjà disponibles sur le site tellingdeath.ch ainsi que sur le site du magazine Génération et sur toutes les plateformes de streaming usuelles.
Telling Death - Raconter la mort
Ecoute collective du podcast
Un épisode du podcast fera l’objet d’une écoute collective au Théâtre de Vidy, le samedi 30 novembre à 18h. Ceci en complément à l’expérience théâtrale immersive « Nachlass – pièce sans personnes », dans l’esprit d’un dialogue créatif entre artistes et scientifiques imaginé par la HETSL et le Théâtre de Vidy.
Entrée libre, inscription conseillée