Comment expliquer la pénurie d’aides familiales en Belgique ? C’est l’un des buts de la recherche menée par Nathalie Burnay, Professeure ordinaire de l’Université de Namur. Invitée par la HETSL pour donner une conférence mardi 29 avril, elle a passionné l'auditoire - quelque 20 personnes issues du monde de l’aide à domicile ou de la recherche - en racontant la méthodologie de sa recherche (axée sur les focus-groupe permettant de couvrir toute la Wallonie), et surtout en exposant les “modèles types” de bénéficiaires. Ces “modèles types” parlent au-delà des frontières et sont facilement applicables au contexte suisse de l’aide à domicile.
« Refuser d’accomplir des actes infirmiers pour respecter la loi, c’est risquer d’altérer la relation d’aide et perdre de vue son utilité de métier. Mais le faire, c’est risquer sa responsabilité en cas d’accident ! »
Par l'illustration de la tasse de café prise avec le bénéficiaire, “ce qui fait partie du métier”, Nathalie Burnay illustre les différents “styles” des bénéficiaires, leur expérience différente de l’aide reçue, et les défis que posent leurs caractéristiques aux professionnel·les.
“Je lui offre le café” VS “on prend le café ensemble”
Par exemple, le portrait robot du bénéficiaire de type “modèle consommateur” de l’aide familiale, serait un homme, content du service rendu, qui n’a pas de problème à déléguer des tâches précises, ni à ce que l’aide familiale soit remplacée par une autre. Invité à parler de l’aide familiale qui vient l'assister, il dira “je lui offre le café”.
Le deuxième archétype, soit le “modèle intimiste”, serait plutôt féminin, issu d’une classe sociale plutôt favorisée, et qui apprécie avant tout la relation avec l’aide familiale, le vit comme un moment de complicité, voire d’amitié. Dans cette relation-là, “les aides familiales sont parfois plus enclines à faire des activités qui dépassent un peu leur cahier des charges, comme aller à la piscine avec la bénéficiaire, ou faire un massage” explique la conférencière. “On prend le café ensemble”, formulerait typiquement un profil “intimiste”.
Le dernier modèle, dit “identitaire”, est “celui qui donne le plus de fil à retordre aux aides familiales”. Le personnage type serait plutôt une femme issue d’un milieu défavorisé, dont l’accomplissement des tâches domestiques fait partie intégrante de son identité. Ainsi, laisser venir une aide à domicile est une épreuve. L’aide familiale est vue comme une intruse, qui ne fait pas “comme il faut”, qui sera surveillée, contrôlée et critiquée. Et le fameux crible de la tasse de café ? “Elle pourrait au moins apprécier le café”, serait une phrase typique de ce profil identitaire à propos de son aide familiale.
L’inapplicable interdiction des actes infirmiers
La recherche de Nathalie Burnay s’est basée notamment des rencontres avec des professionnel·les du métier (près de 450 travailleurs dont 40 aides familiales provenant de toute la Wallonie), des bénéficiaires et des cadres. Le nombre élevé de personnes interrogées a permis d’identifier plusieurs éléments pouvant expliquer la pénurie de personnel qualifié qui s’accélère. “Ce n’est ni le salaire, ni les conditions de travail qui font que les personnes quittent le métier d’aide familiale, mais plutôt le hiatus entre les représentations que l’on se fait du métier et la réalité du terrain”.
« Ce n’est ni le salaire, ni les conditions de travail qui font que les personnes quittent le métier d’aide familiale, mais plutôt le hiatus entre les représentations que l’on se fait du métier et la réalité du terrain. »
Dans cette réalité du terrain, on entend les tensions générées par les critiques constantes de bénéficiaires de type “identitaires”, mais aussi l’impossibilité d’appliquer au jour le jour un décret belge de 2009, stipulant l’interdiction pour les aides familiales d’effectuer des actes infirmiers. En effet, nombre de situations quotidiennes sont techniquement des actes “infirmiers”, par exemple tendre un antidouleur au bénéficiaire qui ne parvient pas à s’en saisir, l’aider à enlever des bas de contention pour prendre la douche, lui appliquer une crème contenant un principe actif (alors que lui étaler de la crème hydratante ne pose pas de problème), ou encore descendre les barrières de sécurité de son lit (alors que les monter est accepté). “Refuser d’accomplir ces actes pour respecter ce décret, c’est prendre le risque d’altérer la relation d’aide et perdre de vue son utilité de métier ou ses valeurs personnelles”. Mais le faire, c’est prendre le risque de la responsabilité en cas d’accident !
Ni… ni… ni…
Ce combat éthique et personnel rend encore plus difficile la possibilité de “définir clairement son métier”, ce qui pèserait aussi dans le désamour du métier, souligne Nathalie Burnay. Et d’illustrer par la réponse - formulée par la négative - que donnent les aides familiales lorsqu’on leur demande d’expliquer leur rôle : “Je ne suis ni une infirmière, ni une aide-ménagère, ni une aide-soignante”.
À la lumière de la situation belge, on perçoit les défis similaires que pose l’aide à domicile en Suisse romande. La Belgique et la Suisse sont d’ailleurs le champ d’observation d’une nouvelle recherche qui vient de démarrer, sur le travail légal après l’âge de la retraite, menée par les professeures Valérie Hugentobler (HETSL) et Nathalie Burnay (Université de Namur).