Interview

“Il faut réduire les stresseurs pour améliorer sa santé mentale”


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Nouveau Professeur associé à la HETSL, Nicolas Chambon, spécialiste du lien entre santé mentale et travail social, se livre à l’occasion du mois de la santé mentale.

©HETSL

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“A la base, je n’y connaissais pas grand-chose en santé mentale, à part le fait d’avoir vu un psy à un moment donné”, sourit le nouveau Professeur associé de la filière Bachelor en Travail social Nicolas Chambon. À l’occasion du mois de la santé mentale, il nous explique comment la santé mentale est devenue la thématique centrale de son travail de recherche. “Je m'intéressais d’abord surtout aux conditions de vie des migrant·es et aux manières d’être solidaire avec elles et eux. La question de la santé mentale, qui revenait souvent chez les professionel·les et les militant·es, a émergé.

L’exposition à la violence, les traumatismes vécus mais surtout les conditions précaires de vie, ont un impact très important sur l'équilibre psychique. Il y avait un champ particulièrement vaste pour le travail social sur cette question chez les personnes migrantes et celles en situation de précarité. Et cela fait maintenant 12 ans que je m’intéresse à la santé mentale et le lien avec l’action sociale.”

Quels sont vos projets à la HETSL en lien avec la santé mentale ?

Avant ma postulation à la HETSL, j’ai obtenu avec mes anciens collègues de l’Orspere-Samdarra un financement dans le cadre de l’appel à projets de recherche sur les transformations du travail social (Drees, DGCS, Cnaf). Ce projet, intitulé Prisme-enquête, vise à documenter et analyser les transformations contemporaines du travail social à l’aune de la montée en visibilité des enjeux de santé mentale. Il s’appuie sur un matériau empirique inédit et riche : les retours, pratiques et initiatives de 20 000 professionnel·les du travail social ayant suivi en France une formation sur la santé mentale.

Ce projet est aussi allié à la mouvance Housing First. Je souhaite désormais déposer une extension pour enquêter sur la Suisse et, plus largement, créer une dynamique internationale autour de ces questions. Tendre vers une politique du logement pour toutes et tous me semble en effet la meilleure voie pour réduire les troubles mentaux des personnes précarisées, tant il est difficile de ne pas développer de troubles lorsqu’on doit survivre dans la rue ou passer la nuit dans des hébergements d’urgence, sans dormir, en ayant peur d’un vol, d’une agression ou d’un viol. Je serai d’ailleurs très heureux que des collègues ou partenaires intéressé·es par ces thématiques prennent contact avec moi pour envisager des collaborations autour de ce type de projet.

« Il est difficile de ne pas développer de troubles lorsqu’on doit survivre dans la rue ou passer la nuit dans des hébergements d’urgence, sans dormir, en ayant peur d’un vol, d’une agression ou d’un viol. »

Vous proposiez dans un article de “soigner la santé mentale par le soutien social” et de “favoriser le soutien social par un soin en santé mentale.” C’est-à-dire ?

Aujourd’hui, le lien entre santé mentale et situation sociale est attesté. Or, c’est un cercle vicieux : lorsque l’on se retrouve par exemple à la rue, on est empêché de bien dormir, on est exposé à la violence. On ne peut pas souffler, se reposer, on est tout le temps sur ses gardes. Ce stress intense a forcément un impact sur la santé mentale. S’ajoutent à ces stresseurs des micro-stresseurs de type raciste ou stigmatisation, qui n’arrangent rien. Et à l’inverse, lorsque l’on vit un trouble psychotique par exemple, on risque de se précariser : on perd des ami·es, un travail, parfois un logement.

L’enjeu consiste à penser à un cercle vertueux : si on agit sur la santé mentale, on permet aux personnes de mieux vivre leurs démarches au quotidien. Ainsi, tendre le plus possible vers l’accès direct au logement pour assurer le besoin de sécurité physique, permettra aux bénéficiaires de mieux dormir. Or, bien dormir est une condition essentielle à une bonne santé psychique. Le logement d’urgence vient de la tradition de l’asile : on met ensemble des gens qui n’ont rien à voir les uns avec les autres mais qui sont réunis parce qu’ils diffèrent tous de la norme.

Pour les personnes qui ont des troubles mentaux, avant qu’elles soient précarisées, un soutien social - en plus du psychiatrique si besoin - pourrait aider à se raccrocher à la société. De manière générale, j’espère que l’action sociale contribuera à dépathologiser les troubles mentaux pour y répondre par la réductions des stresseurs - comme l’absence de logement et la précarité - en développant l’écoute, et non uniquement l’écoute juridico-administrative qui donne une coloration gestionnaire à la relation avec les professionnel·les du travail social, là où il serait nécessaire de tisser un lien plus humain.

Beaucoup de professionnel·les du travail social quittent le métier après quelques années. Y voyez-vous un lien avec une volonté de préserver sa santé mentale ? Quel rôle pourrait jouer une école comme la HETSL pour prévenir cette érosion ?

Oui, clairement. Souvent, c’est une façon de protéger sa santé mentale, et je trouve qu’il est important de le reconnaître, et même de le normaliser. C’est une réaction saine. On ne peut pas soutenir les autres si on ne va pas bien soi-même. D’une certaine manière, la santé mentale est « communicative » - la dimension relationnelle est extrêmement importante. Tout comme peut l’être, malheureusement, le traumatisme vicariant.

Justement, je pense que la HETSL peut aider à prendre conscience de cela : apprendre à identifier ses propres besoins, à poser des limites, à trouver des ressources pour tenir dans la durée. Mais c’est aussi savoir ce qui fait du bien aux personnes qu’on accompagne, enquêter sur ces petites choses qui soutiennent, et apprendre à les valoriser. Je crois beaucoup que penser la santé mentale, c’est aussi une manière d’être solidaire les un·es avec les autres.

J’ai envie d’y contribuer, que ce soit par la recherche ou par l’enseignement. Et déjà, ce que je vois ici, c’est une école qui prend soin de ses équipes et de ses étudiant·es, et ça, c’est vraiment précieux !

« La santé mentale est « communicative » - la dimension relationnelle est extrêmement importante. Tout comme peut l’être, malheureusement, le traumatisme vicariant. »

Vous venez de l’Université de Lyon. Voyez-vous des différences entre la Suisse et la France du côté de la recherche ?

J’ai été étonné de voir que sur le sujet de la santé mentale et du travail social, les deux pays étaient convaincus que l’autre pays était plus en avance… Sinon, je vois plutôt un même constat fait par les pays occidentaux sur ces questions : il y a une augmentation et une complexification des problématiques sociales, et une sorte d’impuissance partagée.

Du côté de la recherche, il me semble que l’écosystème est en Suisse plus favorable à la mise en valeur et au soutien de projets, avec un environnement qui encourage la coopération. Ce qui m’attire particulièrement à la HETSL, c’est aussi la proximité qu’elle permet : à la fois avec les étudiant·es et avec les collègues, dans une dynamique de recherche étroitement liée à l’enseignement et aux pratiques professionnelles.