Interview

Réaliser une thèse en HES : quelles spécificités ?


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Même si les Hautes Écoles Spécialisées (HES) ne peuvent pas délivrer de thèses, nombre de personnes réalisent des doctorats en lien avec une HES, en étant immatriculées dans une haute école universitaire. Actuellement, 14 thèses sont co-dirigées par des professeur·es de la HETSL, dont 8 menées par des membres du personnel d’enseignement et de recherche de notre haute école. Il peut s’agir d’assistant·es dont 50% du temps de travail est consacré à leur doctorat, de collaborateurices scientifiques qui réalisent leurs thèses dans le cadre d’un projet financé par le Fonds National Suisse (FNS) ou d’une bourse ou encore de membres du corps professoral, parfois avec une décharge.

 

Trois des thèses actuellement co-dirigées par des professeur·es de la HETSL sont réalisées au sein de l’Institut transdisciplinaire de travail social (ITTS) de l’Université de Neuchâtel, qui a été mis en place en collaboration avec la HES-SO. Parallèlement à ces aménagements permettant de réaliser une thèse dans le cadre d’un contrat de travail, différentes mesures ont été mises en place à la HETSL pour offrir un cadre le plus favorable possible aux doctorant·es : remboursement de certains frais, tels que les frais d’immatriculation ou de participation à des congrès, mise à disposition de personnes ressources en cas de question et pour accompagner des demandes de financements complémentaires ou encore possibilité de bénéficier d’un mentorat interne. Du côté du Rectorat de la HES-SO, à laquelle la HETSL est rattachée, un Bureau d’appui et de coordination de la formation doctorale (BADOC) a été mis en place depuis maintenant cinq ans. Dre Isabelle Skakni, responsable du service Relève et carrière académiques, nous explique les enjeux des thèses réalisées en HES ainsi que les soutiens mis en place par le service qu’elle dirige.

« En effet, dans les HES, la motivation à se lancer dans un doctorat est souvent liée à une volonté d'améliorer les pratiques ou de mieux comprendre les enjeux d’un champ professionnel. »

Quelles sont les spécificités des thèses réalisées au sein d’une HES ?

Une première spécificité est liée à la nécessité, pour les doctorant·es HES, de réaliser leur thèse dans le cadre d’une co-direction impliquant un·e professeur·e HES et un·e professeur·e de l’université d’immatriculation. Idéalement, les deux encadrant·es possèdent des expertises complémentaires en lien avec le thème de la recherche doctorale. Ce type de co-direction est généralement bénéfique à la réalisation de la thèse, mais cela peut parfois complexifier le travail du doctorant ou de la doctorante qui doit prendre en compte des postures (p.ex. théoriques, méthodologiques) qui ne sont pas toujours totalement alignées.

Une autre spécificité renvoie aux thèmes de recherche, lesquels sont souvent orientés autour d'une problématique en lien avec la pratique professionnelle. C'est une spécificité moins présente dans les universités, bien que cela existe aussi. C'est beaucoup plus fréquent dans les HES notamment parce que les personnes qui y font une thèse ont souvent déjà une expérience de terrain, ou entretiennent une proximité avec le terrain dans leur champ professionnel, ce qui en quelque sorte va teinter le choix du sujet de thèse. En effet, dans les HES, la motivation à se lancer dans un doctorat est souvent liée à une volonté d'améliorer les pratiques ou de mieux comprendre les enjeux d’un champ professionnel. D’ailleurs, certaines de ces thèses sont réalisées en collaboration avec un terrain, voire en réponse à une demande du terrain.

« Ce contrat de partenariat permet ainsi de préciser les rôles respectifs des deux encadrant·es tout au long du projet doctoral, de déterminer un calendrier de travail qui convient aux trois parties et de rendre explicites les attentes mutuelles. »

Quels types de soutiens offrez-vous dans le cadre du BADOC ?

Le BADOC s'adresse aux doctorant·es ainsi qu’aux encadrant·es des six domaines et 28 hautes écoles de la HES-SO. Nous avons développé une offre en fonction des besoins identifiés à travers des activités et échanges avec les personnes concernées, et l’avons ajustée au fil des années. Nous offrons trois types de prestations :

  1. Des accompagnements individualisés, en réponse à des demandes de collaborateurs et collaboratrices dans les écoles ou d’étudiant·es de master, qui souhaitent réaliser un doctorat. En fonction du parcours de la personne, nous l’accompagnons dans certaines étapes de son projet ; du processus d’immatriculation, à la recherche d’une direction de thèse en passant par des questionnements personnels sur l’expérience doctorale. Nous sommes aussi sollicité·es par des personnes qui sont à la toute fin de leur thèse et qui souhaitent être accompagnées dans leur réflexion quant à la suite de leur parcours professionnel.
     
  2. Une valorisation des recherches doctorales, d’une part, via une page web où sont présentées les thèses en cours dans les 28 hautes écoles de la HES-SO, et d’autre part, dans le cadre d’un symposium doctoral organisé dans l’esprit d’un symposium scientifique traditionnel. Lors de la dernière édition de ce symposium, 25 personnes des six domaines de la HES-SO ont présenté leur thèse, sous la forme d’une communication orale ou d’un poster scientifique. Cet événement est très apprécié des doctorant·es ; c’est à la fois une occasion de se familiariser avec les normes de communication scientifique dans un contexte bienveillant et une rare opportunité de réseautage et d’échanges entre personnes qui réalisent une thèse en contexte HES.
     
  3. Un soutien à la réussite qui consiste à favoriser des conditions optimales pour la réalisation de la thèse. Nous proposons notamment des retraites de rédaction de trois jours, à Crêt-Bérard (canton de Vaud), organisées en collaboration avec le Graduate Campus de l'UNIL. Cette activité, qui regroupe chaque fois 20 doctorant·es de tous les horizons disciplinaires, rencontre beaucoup de succès. Non seulement les participant·es considèrent que ce type de retraite leur permet d’avancer concrètement dans la rédaction de leur thèse, mais plusieurs reprennent ensuite le concept pour organiser, par exemple, des retraites d’une journée entre pairs. Les bourses de fin de thèse sont un autre type de soutien que nous offrons. À l’instar de ce que l’on observe dans les universités, plusieurs doctorant·es HES se retrouvent sans financement en fin de parcours, un moment où il est souvent nécessaire de s’engager dans une période intense de rédaction. Notre bourse de fin de thèse permet ainsi de prolonger de six mois un CDD qui arrive à terme ou d’obtenir une décharge d’heures en engageant une personne pour remplacer le ou la doctorant·e, pendant au plus six mois. Depuis janvier 2024, la HES-SO a également établi un partenariat avec la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO), qui permet aux doctorant·es de nos hautes écoles, même ceux et celles qui sont immatriculé·es à l'étranger, de participer à toutes les activités de la CUSO (HES-SO - Accès aux programmes doctoraux de la CUSO - Haute école).

En ce qui concerne l’encadrement des thèses en contexte HES, nous proposons notamment un plan de collaboration tripartite qui permet de faciliter le parcours doctoral et la relation d’encadrement. Ce document, qui demeure optionnel, a d’abord été élaboré afin de pallier les difficultés rencontrées par certain·es professeur·es HES pour faire reconnaître leur travail d'encadrement par l’université d’immatriculation. Ce contrat de partenariat permet ainsi de préciser les rôles respectifs des deux encadrant·es tout au long du projet doctoral, de déterminer un calendrier de travail qui convient aux trois parties et de rendre explicites les attentes mutuelles. Nous proposons également aux professeur·es HES une formation sur le rôle d’encadrant·es en contexte HES, offerte par une intervenante qui forme des directeurs et directrices de thèses depuis plus de 15 ans, dans différents contextes nationaux.

« D’emblée, à l’instar des personnes qui réalisent une thèse dans une haute école universitaire, celles qui la réalise en contexte HES peuvent viser des postes académiques dans tous les types de hautes écoles, en Suisse ou à l’étranger. »

Quels sont les débouchés professionnels pour les personnes qui ont réalisé une thèse dans une HES ? Est-ce différent des débouchés qui s’offrent aux personnes ayant réalisé leur thèse exclusivement dans un milieu universitaire ?

Je mène des recherches sur la formation et les parcours de carrière des titulaires de doctorat depuis plusieurs années, et ce, en collaboration avec des collègues européen·es et nord-américain·es. Nos résultats de recherche permettent de dégager quelques tendances à l’avantage des personnes qui ont réalisé leur doctorat en contexte HES.

D’emblée, à l’instar des personnes qui réalisent une thèse dans une haute école universitaire, celles qui la réalise en contexte HES peuvent viser des postes académiques dans tous les types de hautes écoles, en Suisse ou à l’étranger. Là où ceux et celles qui ont réalisé leur thèse en contexte HES se démarquent, c’est sur leur profil plus polyvalent. Sans vouloir généraliser à outrance, les docteur·es HES peuvent être particulièrement attractifs pour les employeurs des secteurs non-académiques (privé, public, parapublic, ONG, etc.) en raison de leur compréhension fine des réalités du terrain et, souvent, de leurs expériences préalables dans un secteur professionnel donné. En effet, dans une recherche menée en Suisse et au Royaume-Uni (Skakni et al. 2021) ainsi que dans le cadre d’une recherche en cours financée par le FNS, intitulée PhD holders pursuing non-academic careers in Switzerland: Typical profiles and untraditional stories (#100019_200910), j’ai constaté que les employeurs ont tendance à percevoir les docteur·es ayant un parcours universitaire traditionnel comme étant trop « déconnecté·es » des réalités du terrain. Mes recherches et celles de mes collègues montrent aussi qu’une fois en emploi dans ces secteurs, le fait de détenir un doctorat (réalisé en contexte HES ou non) permet aux docteur·es d’accéder plus rapidement à des postes à responsabilités.

Un autre avantage pour les personnes ayant réalisé une thèse en contexte HES, en particulier lorsqu’elles avaient déjà une expérience pratique, c’est qu’au terme de leur parcours doctoral elles possèdent un double profil de compétences « recherche-pratique » qui est exigé dans les HES pour accéder à des postes académiques. En ce sens, ces docteur·es représentent la relève par excellence pour nos hautes écoles.

Propos recueillis par Noémie Pulzer