Synthèse atelier : Non-recours et accessibilité des prestations sociales

Cet atelier s’est déroulé autour de trois groupes de travail qui, après une introduction commune, ont chacun échangé autour d’une des questions définies en amont par les co-animateur·rice·s :

  • Comment rendre l’information sociale plus accessible ?
  • Comment se rendre accessible en tant que service social ?
  • Comment mesurer le non-recours aux prestations sociales ?

Les échanges ont permis de dégager à la fois des besoins, mais aussi des pistes d’action pour documenter les obstacles et à terme renforcer l’accessibilité des prestations sociales et lutter contre le non-recours.

Animation : Christophe Milardi, Caroline Regamey, Emilie Rosenstein

Constats et enjeux

Pour commencer, le thème de l’accessibilité a été replacé dans les développements récents des politiques sociales locales. Il y a une quinzaine d’années, celles-ci étaient très fortement orientées autour du souci de lutte contre les prestations indues et la traque de la fraude. Conformité et contrôle étaient des maîtres-mots. Puis, ce discours a progressivement cédé la place à celui de la simplification. L’objectif visé consistait à renforcer la cohérence du cadre légal et normatif de l’action sociale perçu comme sous-efficient.

Aujourd’hui, la focale s’est déplacée autour des enjeux d’accessibilité. Le présupposé est que les potentiel·le·s usager·e·s s’adressent trop tardivement aux services sociaux qu’il s’agit de rendre plus accessibles afin de pouvoir agir en amont et éviter des phénomènes de précarisation.

La mise en perspective de ces trois phases des politiques sociales invite à questionner deux facettes de l’accessibilité : d’une part la définition des objectifs à atteindre et leur adéquation en regard des ressources et stratégies déployées. En d’autres termes comment renforcer concrètement l’accessibilité des prestations sociales et avec quels moyens ? D’autre part, il s’agit également de prêter attention à la portée de l’intérêt actuel pour les questions d’accessibilité en se demandant s’il s’agit d’une tendance, d’un effet de  « mode » ou si celui-ci se traduit en un véritable changement de paradigme, à même de transformer les pratiques.

Dans un deuxième temps, plusieurs constats de terrain ont été rappelés, soulignant la prégnance du phénomène du non-recours en Suisse et dans le contexte vaudois, ainsi que les besoins en termes d’accès à l’information. La manière de répondre à ces besoins apparaît comme un défi d’autant plus important qu’on observe la multiplication de prestations ciblées et spécialisées parallèlement à la diminution de services de type généraliste.

L’exemple du CSP Vaud offre une illustration très parlante : dans 81% des situations suivies, les professionnel·le·s ont dû proposer aux personnes de solliciter des prestations auxquelles elles avaient droit mais qu’elles n’avaient pas activées, tout en les accompagnant dans ces démarches.

Les demandes de prestations peuvent en effet s’avérer particulièrement complexes et requièrent le plus souvent de réunir de nombreux documents ainsi qu’une certaine connaissance de l’administration. À ce titre, le phénomène du non-recours contribue à invisibiliser des situations de précarité que la pandémie de COVID-19 a partiellement révélées.

Depuis le printemps 2020, le cas des personnes issues de la migration qui préfèrent recourir à des aides alimentaires plutôt qu’aux prestations et services sociaux disponibles de peur de perdre leur permis de séjour en témoigne.

Questions et défis

Comment rendre l’information sociale plus accessible ?

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La première précaution est de se rappeler que mettre à disposition des informations sur Internet ne les rend pas pour autant accessibles. Cela pose la question de la fracture numérique, mais aussi plus largement de l’accessibilité du langage administratif. Le rôle des calculateurs de prestations disponibles en ligne est ainsi évoqué, tout comme l’utilisation de pictogrammes, de traductions, voire d’un langage simplifié, de même que l’organisation de forums, journées d’informations, etc. En effet, l’écrit pouvant être un obstacle, il importe de favoriser les lieux et services permettant d’avoir accès à des informations par oral. Le rôle des travailleur·euse·s du secteur social est ici crucial. Il s’agit également de penser la participation de ces dernières dans l’identification des obstacles mais aussi des solutions en matière d’accessibilité et de sens des prestations disponibles. Renforcer l’accessibilité de l’information sociale passe ainsi par une combinaison de différents moyens et supports de communication.

Comment se rendre accessible en tant que service social ?

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Pour répondre à cette question, trois pistes d’actions ont été identifiées :

  • Les actions hors murs, "l’aller vers" pour créer du lien et restaurer la confiance. Attention toutefois de ne pas se limiter à un rôle d’orientation. Un besoin d’accompagnement et donc une grande réactivité sont nécessaires pour dépasser certaines craintes et obstacles liés aux démarches administratives. Ceci souligne l’importance des acteur·rice·s au niveau local, des communes, et du travail social de proximité.
  • Les actions sur le système, comme l’automatisation des droits, mais aussi l’adaptation des modalités d’accueil pour lutter contre les effets de stigmatisation. L’accès à certaines prestations pourrait par exemple être simplifié les trois premiers mois de sorte à encourager les demandes d’aide ou de conseils. Des campagnes publicitaires pourraient être imaginées, en co-construction avec des usager·e·s.
  • Les actions en direction des personnes éloignées des services sociaux, à travers une sensibilisation et une mobilisation du réseau et des lieux associatifs ou communautaires.

Dans les trois cas, les moments de transition apparaissent comme des moments clés (passage à la majorité, retraite, obtention de permis, naissances, etc.) à la fois facteurs de non-recours, mais aussi opportunités pour entrer en contact de manière proactive.

Comment mesurer le non-recours aux prestations sociales ?

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Mesurer le non-recours est un défi méthodologique et les données disponibles sont rares.

Ce phénomène connaît des causes et déclinaisons bien différentes (la non-connaissance, la non-demande, la non-proposition et la non-réception, en référence à la typologie de l’Observatoire des non-recours aux droits et services). Il peut être complet ou partiel, durable ou temporaire, etc. Il faut le comprendre comme un processus dynamique qui conjugue facteurs individuels et structurels.

Face à cette diversité, le constat est que la mesure du non-recours peut être envisagée de manière plurielle. Elle peut passer par l’exploitation de données quantitatives (en croisant des données administratives) et qualitative (en questionnant les causes du non-recours ou par des démarches participatives). Cette complémentarité existe aussi à plusieurs niveaux : il y a les travaux de recherches académiques, les outils de pilotages développés par les administrations publiques. Le terrain a aussi un rôle à jouer dans cet effort de documentation. Tous les services sociaux ou structures d’accueil produisent quantité de données, la question est alors de savoir comment faire en sorte que ces données nous renseignent sur le phénomène du non-recours.

Il y a là une réflexion à mener avec les travailleur·euse·s sociales. Un objectif pourrait être de renseigner le temps d’attente entre l’émergence d’un besoin et le premier contact avec un service social, ou entre le dépôt d’une demande de prestation et son obtention. Ce type d’informations permettraient le monitorage de formes de non-recours temporaires et d’éclairer des obstacles en matière d’accessibilité. À cet égard, l’Observatoire peut constituer une ressource méthodologique et de formation pour les acteur·rice·s de terrain.

Plus généralement, l’Espace thématique dédié au non-recours peut être le lieu propice pour coordonner ces initiatives et répondre aux défis de l’accessibilité.