Synthèse atelier : Inégalités et conséquences sociales de la pandémie de COVID-19

Durant cet atelier, les co-animatrices ont invité les participant·e·s à partager les thèmes et sous-thèmes à développer dans le cadre du futur Espace thématique dédié aux inégalités et conséquences sociales du COVID-19. Elles et ils se sont alors réparti·e·s en trois groupes de travail. La synthèse ci-dessous retrace les principaux constats et besoins identifiés au niveau du terrain comme de la recherche, ainsi que les pistes d’actions pouvant être déployées dans le cadre de l’Observatoire des précarités.

Animation : Géraldine Chevé et Emilie Rosenstein

Constats, enjeux et attentes

La pandémie de COVID-19 et les mesures de restrictions qui s’en sont suivies ont produit et renforcé les inégalités en Suisse en un temps record. Dès le printemps 2020, de nombreuses études ont mis en évidence les dynamiques inégalitaires à l’œuvre.

D’un côté, les personnes bénéficiant de postes stables sur le marché du travail ont plus souvent pu télétravailler, elles ont moins souvent perdu leur emploi ou été confrontées à une baisse de revenu. Parmi les plus hauts revenus appartenant à cette catégorie, certains ménages ont même vu leur épargne augmenter de par la baisse de certaines dépenses en lien avec la mobilité, les activités et loisirs (restaurants, sports, vacances, etc.).

Parallèlement, les travailleur·euse·s précaires ne bénéficiant pas de la même stabilité (contrats à durée déterminée, travail sur appel, petits et faux indépendants) ont plus souvent été confrontés à une perte de leur emploi (en particulier dans les secteurs de l’économie domestique, de l’hôtellerie et de la restauration) et à une diminution de leur revenu, y compris parmi celles et ceux ayant conservé leur activité. Ces mêmes personnes ont ainsi dû plus régulièrement piocher dans leurs éventuelles économies et à défaut, s’endetter.

Derrière ces deux tendances rapidement esquissées se dessinent les bases d’un processus de dualisation de la société qui questionne les effets du COVID-19 sur les inégalités à plus long terme.

Ce constat questionne également la capacité des dispositifs sociaux à endiguer ces inégalités. Certaines aides ont été rendues possibles ou facilitées dans un laps de temps inédit, à l’image des mesures de RHT de l’assurance chômage ou des APG COVID, révélant une réactivité sous-estimée des politiques sociales Suisse.

Toutefois, on s’est aperçu dans le même temps que l’accès aux prestations sociales n’était pas toujours simple, en raison du manque d’information, mais aussi de la non-éligibilité, voire de non-recours à celles-ci. Les inégalités d’accès à la protection sociale sont ainsi venues se surajouter aux inégalités présentes sur le marché du travail, renforçant l’effet de dualisation décrit plus haut.

L’expérience de la Centrale des solidarités, mise en place durant la pandémie par le Département de la santé et de l’action sociale, avec l’appui de l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile (AVASAD), pour soutenir les personnes vulnérables dans cette période de crise atteste de ces tendances. Ce nouveau dispositif a permis de répondre à des problématiques d’isolement, mais aussi d’orientation sociale dans le dispositif sociosanitaire. Parmi les publics particulièrement affectés par la pandémie, on retrouve les familles monoparentales, les jeunes en formation ainsi que les personnes âgées isolées, qui connaissent par ailleurs un risque de pauvreté plus élevé que la moyenne suisse.

COVID-19 et accessibilités des prestations sociales

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La pandémie a mis à l’épreuve l’accessibilité des prestations sociales. De nombreux dispositifs ont dû être fermés, que ce soit sur quelques semaines ou plusieurs mois, et rares sont ceux qui étaient équipés pour le télétravail. L’octroi de prestations et l’accompagnement social ont dû se redéployer à distance, et beaucoup de services ont dû fonctionner avec des effectifs restreints, renforçant une surcharge déjà importante. Dans certains cas, des missions ont dû être temporairement suspendues faute de moyens pour donner la priorité à l’urgence. La fermeture des guichets et locaux a ainsi produit des effets de triage parmi les usager·e·s et leurs problématiques dont on ignore encore les répercussions.

Plusieurs participant·e·s sont revenu·e·s sur la difficulté des usager·e·s à savoir à qui s’adresser et où trouver les informations pertinentes. Leur expérience témoigne du fait que même si le COVID-19 a accéléré le tournant digital de la protection sociale suisse, la multiplication des renseignements et démarches en ligne n’est pas nécessairement gage d’une meilleure accessibilité des prestations. Il y a d’une part la problématique de la fracture numérique, mais aussi un besoin d’accompagnement social, voire de lien social. À ce titre, la pandémie a rappelé le rôle crucial du travail social de proximité, des communes et associations notamment. De plus, la simplification de certaines procédures, et plus généralement, l’accent mis sur la confiance (à l’égard des usager·e·s, mais aussi des employé·e·s de dispositifs sociaux), plus que sur certaines activités de contrôle temporairement mises en retrait, apparaissent comme des clés du succès de la réponse des politiques sociales face à la pandémie.

Court ou long terme ?

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Une question récurrente soulevée durant l’atelier était celle de la temporalité. En effet, beaucoup des constats dressés concernant la pandémie et ses effets sur les inégalités sont par définition des constats à court terme. Mais quels seront leurs développements à long terme ? Pour l’heure, plusieurs des données de registre disponibles ne permettent pas de dégager des tendances, à l’instar des chiffres de l’aide sociale qui sont globalement stables à l’échelle suisse. Faut-il en déduire qu’il n’y a pas de problème ou bien que les données disponibles ne permettent pas de les saisir ? Il y a là un besoin d’outil de monitoring à même de saisir l’impact de la pandémie à plus long terme et les dynamiques de précarisation évoquées plus haut. Pour l’heure, un indice semble attester des conséquences négatives de la pandémie : l’augmentation marquée et continue du recours aux aides alimentaires qui vient également questionner l’accessibilité des prestations sociales, vers un risque de généralisation et de banalisation d’une aide d’urgence de type humanitaire.

La temporalité des réponses déployées face à la crise est aussi en question, qu’elles soient individuelles ou collectives, issues de l’action publique ou du secteur privé. L’enjeu est de savoir s’il s’agit de solutions pérennes, valables pour les politiques sociales de demain, ou s’il s’agit d’adaptations temporaires propres au contexte du COVID-19. Il en va de même sur le plan financier : est-ce que la réponse des politiques sociales repose sur des budgets ordinaires ou relève-t-elle de fonds ad hoc et limités dans le temps ? Au niveau du terrain, on note que de nombreux budgets COVID-19 vont, ou ont déjà touché à leur fin. La crainte est alors celle d’un effet retard de la pandémie. La temporalité des initiatives solidaires et du bénévolat sur lesquels se sont fondées bien des réponses à la pandémie est également au cœur des préoccupations. Plusieurs participant·e·s ont rappelé en ce sens l’effet délétère du temps long de la crise sur les possibilités d’engagement individuel, ainsi que le risque de généralisation du travail gratuit.

À chacun de ces niveaux ressort la nécessité de faire la part des choses entre le court et le long terme afin d’ajuster aussi bien notre compréhension de la pandémie et de ses effets, que la pertinence des réponses déployées face à celle-ci.

Pistes

À l’issue des échanges, trois pistes d’action se dessinent pour l’Observatoire des précarités et son Espace thématique dédié aux inégalités et conséquences de la pandémie de COVID-19.

Documenter pour mieux visibiliser

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Dans de nombreux domaines, le besoin de documenter les effets de la pandémie se fait sentir, que ce soit pour mieux saisir les conséquences du COVID-19 sur le vécu de la population, ou encore pour faire le bilan des réponses en matière de politiques sociales et identifier des bonnes pratiques. Cela passe par le développement de nouveaux indicateurs et chantiers de recherche pour mettre en lumière les inégalités et le risque de précarisation, en lien par exemple avec l’endettement des ménages, les effets de la fracture numérique sur le risque d’isolement, etc. Le Programme national de recherche « COVID-19 et société » (PNR 80) auquel participe l’Observatoire va contribuer à cet effort de documentation. Il permettra notamment de cartographier la réponse des politiques sociales face à la pandémie, tout en montrant de manière longitudinale ses répercussions à moyen terme sur les trajectoires de bénéficiaires de prestations sociales. Soulignons encore que documenter les conséquences du COVID-19 n’est pas qu’un objectif pratique de pilotage de l’action sociale. C’est aussi une façon de maintenir visible des populations et problématiques le plus souvent ignorées et que la pandémie à momentanément mis en lumière.

Réunir

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La pandémie a montré l’importance de travailler ensemble, que ce soit entre les acteur·rice·s de l’administration publique, de la sphère associative ou encore des hautes écoles. Ces collaborations ont donné lieu à des solutions orientées vers les usager·e·s et leurs besoins, ouvrant la voie à des formes de redéfinition et de co-construction du sens de l’action sociale. Soutenir ce type d’échanges requiert un lieu et du temps propices à l’échange de savoirs et d’observations entre terrains, administrations publiques, recherche et personnes concernées. L’Observatoire des précarités pourrait jouer ce rôle en favorisant la rencontrer entre ces différents acteur·rice·s, en faisant circuler et remonter les informations, et en impulsant des projets et changements portés collectivement.

Prévenir

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Lutter contre les inégalités et les processus de précarisation ne saurait se limiter aux seuls effets de la pandémie. Il s’agit aussi de réfléchir en amont pour mettre en évidence et agir sur les causes de précarités qui préexistaient au COVID-19. À ce titre, l’enjeu des limites de la protection sociale est au cœur des préoccupations, que ce soit en raison de dispositifs sociaux dont le seuil d’accès est trop haut, dont les prestations sont trop faibles, ou qui ne bénéficient pas d’une base réglementaire et financière suffisamment solides pour en faire une véritable politique sociale. L’expérience de la pandémie invite à explorer plusieurs pistes en ce sens, par exemple en simplifiant l’accès aux prestations, et en consolidant certains droits sociaux, en matière d’hébergement d’urgence ou de droit à l’alimentation notamment. Il en va de même avec les formes de précarités observées sur le marché du travail. Documenter ces phénomènes, les instruments de régulation et leurs limites contribue à comprendre et agir en amont. La prévention passe aussi par la formation des travailleur·euse·s sociales aux défis des transformations du travail.