Interview

Les systèmes de retraite, un combat féministe mené par Danielle Axelroud


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Un après-midi d’étude sera consacré aux systèmes de retraites mis en place dans les pays occidentaux pour discuter des diverses formes de discrimination liées au genre dans les dispositifs de sécurité sociale et retracer les étapes de l’élaboration de la critique féministe des politiques sociales. Danielle Axelroud expert-fiscale engagée au collectif #65 No Peanuts et à la Grève féministe (Suisse) nous offre son éclairage au sujet de la prévoyance vieillesse en Suisse. Elle sera aussi l’une des intervenantes durant cet après-midi d’étude.

Danielle Axelroud

Danielle Axelroud

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le collectif #65 No Peanuts ?

Il s’agit d’un collectif né à Nyon au printemps 2018 qui réunit des juristes et économistes au féminin en réponse à la proposition d’élever l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Nous exigeons la mise en œuvre d’une politique de l’égalité cohérente et globale avant toute hausse de l’âge de la retraite des femmes : pour une égalité complète, pas de cacahuètes.

« Si le salaire des femmes était égal au salaire des hommes, l’augmentation de la masse salariale suffirait à contrebalancer le financement amené par l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. L’injustice envers les femmes est à ce titre double. »

La retraite pour tous et toutes à 65 ans au nom de l’égalité est un non-sens.

En quoi la prévoyance vieillesse en Suisse contribue à l’inégalité entre hommes et femmes ?

La prévoyance vieillesse en Suisse repose sur trois piliers. L’AVS couvre toute la population qui vit en Suisse et inclut des mécanismes qui sont révolutionnaires. Les revenus qui servent à calculer la rente prennent en compte le travail non-rémunéré majoritairement pris en charge par les femmes. Par exemple, un montant fictif est ajouté chaque année pour chaque enfant de moins de 16 ans, ce qui compense un taux d’activité réduit par le parent qui s’occupe de l’enfant. Pour les personnes mariées, un mécanisme permet de partager le revenu total pour partager la rente de manière égalitaire.

Là où le bât blesse, c’est le deuxième pilier, la LPP, qui n’a rien de solidaire. C’est une assurance individuelle qui est strictement liée à l’activité lucrative. Les femmes qui n’ont pas d’activité professionnelle, car elles prennent en charge l’éducation des enfants, ne sont pas affiliées. Les taux d’activité partiels sont aussi fortement pénalisés, d’autant qu’il faut un miminum de salaire annuel à 20'000 CHF pour que l’employeur verse des cotisations à ce deuxième pilier. De ce fait, un tiers des femmes ne bénéficient pas d’un deuxième pilier. Or le revenu apporté par l’AVS ne suffit pas pour vivre en Suisse. Les grands gagnants de ce système très inégalitaire sont les personnes les mieux payées, ainsi que les banques et les assurances, qui gèrent cette gigantesque masse de capitaux ! Le troisième pilier, quant à lui, reste réservé aux personnes qui ont les moyens.

Pour les deux tiers, les heures de travail des femmes ne sont pas rémunérées. Tant que le système de retraite suisse se fonde sur le travail rémunéré (2e et 3e piliers), la retraite des femmes restera ainsi largement inférieure à celle des hommes.

Comment pourrait-on améliorer ce système de prévoyance vieillesse ?

Le travail domestique et de soin non rémunéré reste largement l’affaire des femmes. Or seule l’AVS intègre cette dimension pour le calcul de la rente. Le 2e pilier n’en tient aucun compte. Si l’on veut vraiment réaliser une égalité de genre pour la retraite, on ne peut pas faire l’impasse sur cette réalité. C’est dans le système de l’AVS qu’il faut chercher la solution, car la structure de la LPP n’a pas été pensée pour cela.

Puisque l’AVS est la seule assurance sociale couvrant l’entier de la population, et puisqu’une part si importante des femmes ne peut pas s’affilier à la LPP, il est impératif de renforcer l’AVS pour qu’elle verse des rentes suffisantes pour vivre dignement.

Il faudrait en outre réfléchir à des modèles économiques plus efficaces que la LPP. Le modèle qui régit la LPP n’est économiquement pas viable. Il génère des frais d’administration et de gestion qui frôlent en moyenne les 1'000 CHF par année et par personne assurée, alors que l’AVS s’en tire avec quelque 26 CHF par année et par personne assurée. Une vraie réforme de la prévoyance vieillesse devrait par exemple remplacer la partie obligatoire du deuxième pilier par une AVS supplémentaire, ce qui demanderait une période de transition de l’ordre d’une génération. Il est important que de telles réflexions soient développées, de manière à penser une telle réforme.