Thèse

Félicitations à Antonin Zurbuchen qui a obtenu une bourse pour terminer sa thèse dans le domaine de la sociologie de l'insertion professionnelle !


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Dans sa thèse en sociologie, Antonin Zurbuchen s’intéresse à la mise en forme sociale de la force de travail à partir d’une étude réalisée dans deux entreprises d'insertion socio-professionnelle du canton de Vaud. Il analyse les pratiques des coaches et des maîtresses et maîtres socioprofessionnels (MSP) dans l’accompagnement des personnes qui participent à une mesure d’insertion du chômage ou de l’aide sociale. Quel est le rôle joué par ces professionnel·le·s dans les opérations de mise en conformité des individus aux exigences du marché du travail ? Dans son analyse, Antonin combine les travaux sur l’anthropologie culturelle et la critique marxienne de la valeur. Il nous parle de son travail et des valeurs qu’il défend.

Antonin Zurbucher

Antonin Zurbucher

Dans ton parcours, qu’est ce qui t’a amené à t’intéresser à une analyse sociologique du travail de l’insertion ?

Ne sachant pas trop quoi faire à la fin de ma scolarité obligatoire, j’ai travaillé comme ouvrier non qualifié dans le domaine du bois pendant quelques années, puis j’ai fait un apprentissage de menuisier. Ces expériences professionnelles, marquées par toutes sortes de processus de domination et de dépossession, m’ont fortement politisé. Le besoin de comprendre ce qui se joue dans nos systèmes professionnels empreints de valeurs capitalistes a fini par se muer en véritable nécessité. J’ai donc commencé des études universitaires en sociologie, ce qui a renforcé la conviction que pour modifier nos conditions d’existences dans le sens d’une réelle émancipation, il faut savoir interpréter le monde sans se faire duper par les idéologies de tout bord. J’ai été par la suite engagé à la HETSL comme collaborateur scientifique pour étudier le « marché complémentaire » dans lequel on retrouve des personnes qui travaillent « en marge du salariat ». 

« Le besoin de comprendre ce qui se joue dans nos systèmes professionnels empreints de valeurs capitalistes a fini par se muer en véritable nécessité. »

De quelle manière ta thèse contribue à comprendre le marché complémentaire ?

Dans ma thèse, je m’intéresse à une partie du marché complémentaire qui contient un volet insertion socio-professionnelle. Grâce à des observations et des entretiens, je peux rendre compte de la manière dont les professionnel·les qui interviennent dans la mise en œuvre des programmes d’insertion tentent de rendre le travail désirable aux yeux des participant·es. S’il ne s’agit pas de nier que le travail soit activité, le monde de l’insertion nous invite à saisir le travail sous un autre aspect qui semble en réalité primer sur l’activité en tant que telle : il est avant tout un rapport social historiquement spécifique caractérisé par la dépense de force de travail. Pour que cette dépense soit effective, il faut que la force de travail soit constituée sur le plan de la formation, des savoir-faire, des savoir-être, etc., mais surtout qu’elle soit mobilisable, ce qui concerne notamment le plan subjectif et l’acceptation de consacrer une large partie de son temps de vie aux contraintes du travail salarié et de s’y adapter.

« S’il ne s’agit pas de nier que le travail soit activité, le monde de l’insertion nous invite à saisir le travail sous un autre aspect qui semble en réalité primer sur l’activité en tant que telle : il est avant tout un rapport social historiquement spécifique caractérisé par la dépense de force de travail. »

La banalité du travail et son essentialisation occulte l’existence de longs et douloureux processus de socialisation qui transforment l’agir des individus en vue de la valorisation économique et les amènent à considérer leurs propres capacités comme une marchandise à vendre sur le marché. Un travail invisible est effectué par tout un chacun pour transfigurer les contraintes en éléments désirables. Or, l’insertion socio-professionnelle comme moment particulier dans la vie des bénéficiaires permet de rendre visible une partie de ces processus puisqu’il s’agit explicitement d’accompagner des personnes vers l’emploi en travaillant sur les freins identifiés par les professionnelles et considérés comme des obstacles « appartenant » aux personnes à insérer sur le marché du travail.  

Ce terrain ethnographique est très intéressant pour une critique radicale du travail. Observer les relations qui se jouent entre ces acteurs est révélateur du monde du travail. La manière dont les travailleuses et les travailleurs sociaux agissent, les outils qu’elles et ils ont à disposition, leur discours et les étapes mises en place avec les bénéficiaires sont des indications qui permettent de mieux comprendre les logiques de l’insertion professionnelle.

« Observer les relations qui se jouent entre ces acteurs est révélateur du monde du travail. »

À titre personnel, quel est l’objectif premier dans ce projet de recherche ?

Ma thèse est une réelle quête de sens, non pas pour amorcer de nouvelles politiques sociales à adopter, mais ma proposition est d’apporter une meilleure compréhension des logiques qui sous-tendent l’insertion professionnelle et ainsi montrer que l’insertion est peut-être le résultat d’une logique aveugle propre au capitalisme.

« Mon rêve : ne plus confondre travail et activité. La perspective est double : libérer le travail de la marchandisation et se libérer du travail. »