Interview

Félicitations à Aurélie Masciulli Jung qui a obtenu une bourse pour terminer sa thèse dans le domaine de l'accompagnement professionnel des personnes en deuil !


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La mort et le deuil sont des thématiques auxquelles Aurélie Masciulli Jung s’intéresse depuis une dizaine d’années. À l’Université de Lausanne tout d’abord avec une recherche autour des questions de la finitude face au développement de projets transhumanistes pour son master, puis la question du deuil est apparue durant le prolongement de ses études de master en travail social. Dans le cadre de l'ouvrage L'accompagnement social et la mort, elle s’est d’abord penchée sur le vécu du deuil au sein du couple. La dimension sociale du deuil l’a alors frappée. Pourtant cette dimension sociale est peu présente dans la littérature et les recherches faites autour du deuil qui est souvent appréhendé sous le prisme de la psychologie.

Aurélie Masciulli

Aurélie Masciulli

Plus récemment, elle s’est aussi investie dans la création d’un outil pratique pour l’accompagnement des personnes en deuil dans le milieu du travail. Dans sa recherche doctorale, elle documente les pratiques et les discours des professionnel·le·s offrant des prestations de soutien, d’écoute et d’accompagnement psychosocial aux personnes endeuillées. Au-delà des modalités de prise en charge elles-mêmes, en quoi les pratiques et les discours actuels traduisent-ils une professionnalisation de l’accompagnement du deuil, voire son institutionnalisation et sa politisation ?

 

Peux-tu nous dire quelques mots sur ta thèse en cours ?

Aurélie Masciulli : Le terrain empirique est terminé. J’ai pu m’entretenir avec des professionnel·le·s de 13 associations ou institutions, mener un terrain ethnographique dans une unité de soins palliatifs et rencontrer des indépendant·e·s et des personnes endeuillées. Ce travail a débuté en 2018 et suite à la pandémie de la COVID-19, j’ai décidé de poursuivre mes entretiens jusqu’en 2021 pour appréhender l’impact de cette crise sur le tissu associatif et professionnel de l’accompagnement du deuil.

Effectivement, l’histoire sociale de l’accompagnement du deuil montre une corrélation entre le développement de prestations et des événements historiques significatifs. Les premières associations ont ainsi vu le jour à la suite de la Seconde guerre mondiale pour offrir un soutien aux veuves et aux orphelin·e·s de guerre. J’estime possible que la COVID-19 participe à l’accélération d’une professionnalisation, voire une institutionnalisation, de l’accompagnement de par la visibilité accrue de cette problématique durant la pandémie et la forte mobilisation des professionnel·le·s. À terme, cette reconnaissance du deuil pourrait peut-être devenir un enjeu de santé publique, sur le même modèle que la question des proches aidant·e·s.

« L’histoire sociale de l’accompagnement du deuil montre une corrélation entre le développement de prestations et des événements historiques significatifs. »

Au fil de de ta recherche, qu’est-ce que tu as déjà pu remarquer ?

La question de la temporalité dans la prise en charge des personnes vivant un deuil est très présente. Le morcèlement de l’accompagnement du deuil par différent·e·s professionnel·le·s dans la temporalité fin de vie, décès, funérailles et deuil peut être difficilement vécu par l’endeuillé·e, qui doit à chaque étape redire son histoire et recréer un lien de confiance. De plus, l’accès à l’information liée aux prestations existantes n’est pas toujours facile à trouver (type de la prestation, durée, prix, etc.). La personne endeuillée ne sait pas toujours à qui s’adresser et c’est à elle qu’incombe la responsabilité de trouver les ressources dont elle a besoin. Certains professionnel·le·s ont pris conscience de ce défi et commencent à se regrouper pour centraliser les informations sur les prestations existantes.

Le discours des professionnel·le·s est aussi ambivalent entre une reconnaissance du besoin de la personne endeuillée à pouvoir parler de sa ou son défunt·e en dehors de son cercle familial ou social d’un côté et, de l’autre, de laisser à la personne en deuil vivre ses moments en famille dans l’intimité. Cet équilibre est d’autant plus compliqué à trouver que tous les endeuillé·e·s n’ont pas besoin d’un accompagnement, qu’il soit sous la forme d’une écoute ponctuelle, une aide administrative ou un suivi thérapeutique.

« La personne endeuillée ne sait pas toujours à qui s’adresser et c’est à elle qu’incombe la responsabilité de trouver les ressources dont elle a besoin. »

Quel changement souhaites-tu voir opérer grâce à ta recherche ?

Documenter le panorama du tissu associatif et institutionnel existant dans le domaine de l’accompagnement du deuil sera une information intéressante à mettre à disposition des professionnel·le·s comme piste pour contrer le morcellement de la prise en charge et  augmenter encore la qualité de l’orientation des personnes endeuillées. Cette information me semble particulièrement utile pour le champ du travail social, puisque les travailleurs et les travailleuses sociales sont confronté·e·s à la question du deuil dans tous les champs d’intervention et avec tous les publics avec qui ils et elles interagissent.