Comment repenser les pratiques liées à la fin de vie et la mort ? Point de situation avec une recherche exploratoire et participative


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Favoriser le débat autour de la mort est un enjeu crucial pour notre société. Mandatée par la Direction générale de la santé (DGS) du Canton de Vaud, une équipe de recherche de la HETSL s'y emploie depuis le début de l’année 2022 en partenariat avec le ColLaboratoire de l'UNIL. En amont et en aval de l'événement Les couleurs de la mort – un événement porté par Palliative Vaud et le canton de Vaud qui a réuni pendant 4 jours les professionnel·le·s et le grand public autour de la thématique – cette équipe a mené une recherche exploratoire sur différentes dimensions liées à la matérialité de la mort et au traitement des personnes défuntes, entre registres sanitaire et funéraire.

Sur la base d’une approche qualitative et participative sous forme d’entretiens et ateliers menés avec des professionne·le·s et des groupes de citoyen·ne·s, cette recherche fait ressortir un ensemble d’éléments susceptibles de nourrir les réflexions autour de la mort entamées depuis plusieurs années déjà par les instances de santé publique du canton. Veronica Pagnamenta, qui fait partie de l’équipe de recherche, nous parle des premiers constats tirés de cette enquête.

 

Pourquoi s’intéresser à la matérialité de la mort entre registres sanitaire et funéraire ?

Cette recherche exploratoire sur la mort et en particulier autour de la prise en charge, très concrète, des personnes défuntes prend place dans un contexte où de nombreuses réflexions autour de la mort ont été entamées au niveau cantonal depuis le postulat de Léonore Porchet ‘La mort c’est tabou, on en viendra tous à bout’, déposé en 2018 auprès du Grand Conseil vaudois. Si des questions sur la fin de vie et le deuil ont pu être explorées, notamment lors des pic-nics mortels conduits par nos collègues du ColLaboratoire (UNIL), la prise en charge des corps des personnes défuntes, en particulier lors du moment de la transition entre la déclaration de décès et les obsèques, demeurait peu explorée. Nous l’avions déjà constaté lors de notre précédente recherche sur la gestion des morts en temps de pandémie. Pourtant, nombreuses sont les personnes impliquées dans ce moment de transition. Et les professionnel·le·s ainsi que leurs pratiques sont rarement mises en lumière.

Qui sont les professionnel·le·s du mortuaire et du funéraire et quel regard est porté sur ces métiers et pratiques ?

Quand nous parlons de secteurs funéraire et sanitaire, nous pensons en premier lieu aux agent·e·s de pompes funèbres ou au personnel soignant, comme les infirmières et infirmiers ou les médecins. Il existe pourtant beaucoup de professionnel·le·s qui s’occupent des personnes défuntes et des proches en deuil : je pense non seulement aux professionnel·le·s engagé·e·s dans les morgues hospitalières, aux préparatrices et préparateurs d’autopsies médicales, mais également aux personnes souvent oubliées dans cette transition qui réalisent des tâches essentielles au niveau des administrations, que ce soit dans les structures socio-sanitaires ou à l’Etat civil, pour permettre le bon déroulement du traitement des morts jusqu’à leur dernière demeure. Et il y a bien d’autres professionnel·le·s impliqué·e·s, sans parler bien sûr des personnes en deuil, les proches et les familles.

De manière générale, nous avons constaté que si la mort touche à tout aspect de la vie, personne ne semble avoir une vue d’ensemble de tous les enchaînements professionnels. Il en résulte un certain flou dans la coordination entre certains groupes d’intervenant·e·s, notamment entre registre sanitaire et registre funéraire. La pandémie a mis en évidence le rôle central de ces professionnel·le·s de terrain, ces « travailleuses et travailleurs des coulisses ». Cette crise a, en quelque sorte, rendu nécessaire et évidente cette coordination que les actrices et acteurs concerné·e·s rendaient effective au jour le jour et à leur échelle. La crise a encore révélé la multiplicité des professions et des compétences requises dans la prise en charge des morts. Une collaboration plus étroite entre les professionnel·le·s travaillant dans différents domaines était nécessaire pour répondre à cet état d’urgence. Pendant un laps de temps, il n’était en effet plus possible de compartimenter cette prise en charge. Il fallait favoriser les collaborations interprofessionnelles.

« La pandémie a mis en évidence le rôle central de ces professionnel·le·s de terrain, ces « travailleuses et travailleurs des coulisses. »

Il est important de souligner aussi que le travail avec les corps des personnes défuntes, ainsi que leur prise en charge administrative et le contact avec les proches en deuil, ne sont pas des pratiques anodines. Ce travail est peu reconnu et souvent invisibilisé. Cette invisibilisation est souvent corrélée à une non-reconnaissance – statutaire et symbolique – de ces professionnel·le·s et de leurs pratiques. Cela ressort avec force de nos différents entretiens.

En quoi cette recherche est importante pour nourrir un débat citoyen autour de la mort ?

Avant tout, nous sommes toutes et tous concerné·e·s par ce sujet. Mais la prise en charge des défunt·e·s s’est professionnalisée, et le mourir s’est aussi institutionnalisé. À ce propos, il suffit de relever que la majorité des décès survient en contexte hospitalier et socio-sanitaire. Dans les dialogues avec nos interlocutrices et interlocuteurs émerge donc le constat d’une perte de compétences et de savoir-faire dans les situations de fin de vie et de traitement social des personnes décédées de la part des proches.

« La prise en charge des défunt·e·s s’est professionnalisée, et le mourir s’est aussi institutionnalisé. »

Cela ne signifie toutefois pas que les professionnel·le·s sont toujours à l’aise. Même en contexte professionnel, la parole et les pratiques autour de la mort, des morts, sont souvent décrits comme complexes, gênés, retenus. Pourtant, dès que l’on offre l’opportunité de parler de ce sujet, toutes et tous sont incroyablement loquaces, concerné·e·s. Cela témoigne de la nécessité de nous (re)socialiser avec la mort et avec les morts. Au fond, notre souhait avec ce mandat et avec les autres dialogues menés autour du mourir, de la mort, des morts et du deuil, est que l’après-midi d'étude du 5 avril aide à élargir la réflexion sur ces sujets. L’un des objectifs visés est, à terme, la constitution d’un groupe de réflexion dans le but de faire évoluer les pratiques autour des enjeux de la fin de vie, du mourir et de la prise en charge des défunt·e·s et des proches en deuil.

 

Prendre soin de la fin de vie et de la mort

Après-midi d'étude

Mercredi 5 avril 2023 de  13h30 et 19:30

Les données récoltées et les analyses menées dans cette étude seront partagées lors d'une après-midi d'étude autour des enjeux de la fin vie, du mourir et de la prise en charge des défunt·e·s et des proches en deuil. Cet événement sera également l’occasion d’élargir les réflexions sur la thématique de la mort en général, avec une table ronde et une discussion publique sur ces différents enjeux.